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Les mémoires d'un antihéros    Journal Alsace  Article de F.Dangel.
                          … Modeste paysan de St-Ulrich, né en 1893, Dominik Richert…….. 

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Le témoignage authentique d'un cultivateur du Sundgau,
                           incorporé  par les Allemands en octobre 1913, à l'âge de 20 ans,
                           vient d'être publié.

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L'Express du 05/11/1998
Ce que l'on ne vous a jamais dit
Traitement de choc

par Michel Labro

 

 

 

 

 

 

Pour «soigner» les soldats traumatisés, les psychiatres avaient trouvé un moyen expéditif: l'électricité. A grande échelle, selon l'historien Frédéric Rousseau

Dans l'ouvrage que vous vous apprêtez à publier, vous abordez un problème largement refoulé: l'utilisation de l'électricité pour «traiter» les soldats atteints de troubles mentaux.

Dans un premier temps, je me suis demandé ce que ressentaient les hommes au feu, comment ils se comportaient en voyant leurs copains tomber, quand ils avaient peur et faisaient dans leur froc. J'ai réalisé que certains parvenaient à dominer leur terreur par une forme de froideur, d'indifférence à l'environnement. D'autres buvaient, se droguaient; d'autres, enfin, devenaient fous. Ceux-là, ces névrosés de la guerre, j'ai voulu savoir comment on les soignait, et j'ai découvert que l'on faisait largement appel à l'électricité. Cet aspect était peut-être connu de certains médecins spécialistes de l'histoire militaire, mais on ne l'aborde pas dans les livres et, pour moi, c'était réellement une découverte.

«L'ébranlement nerveux provoqué par l'électrochoc devait arracher le malade à ses fixations psychologiques»

Dans quelles circonstances en avez-vous pris conscience?

En lisant le journal de Robert Musil, qui avait servi dans l'armée austro-hongroise et qui aborde ce problème, et, surtout, en travaillant sur les réactions de Freud à la Première Guerre mondiale. Dans un livre d'histoire de la psychanalyse figurait le procès-verbal d'une audition de Freud à Vienne, en 1920, lors d'un procès retentissant intenté par un ancien officier, Walter Kauders, à l'armée autrichienne. Commotionné par l'explosion d'une grenade sur le front russe, le 29 août 1914, Kauders avait été soigné à l'électricité dans des conditions atroces. Devant la commission d'enquête, Freud dénonça l'inhumanité de l'électrothérapie et contesta son efficacité thérapeutique. Mais les psychiatres officiels maintenaient leur point de vue. Pour eux, l'ébranlement nerveux provoqué par l'électrochoc devait arracher le malade à ses fixations psychologiques, et lui permettre de repartir au front.

On est tout de même plus près de la torture mentale que de la médecine!

Bien sûr. Il est clair que les psychiatres volaient au-devant des desiderata des militaires. D'ailleurs, certains ne se privent pas de dire que la frayeur de l'électricité doit aussi permettre de débusquer les lâches et les déserteurs en puissance. Au cours du procès Kauders, plusieurs témoins confirmeront qu'un des accusés, le Dr Kozlowski, ne se contentait pas d'appliquer l'électricité sur les extrémités des membres, il le faisait aussi sur les testicules et sur le bout des seins.

Ces méthodes n'étaient quand même pas généralisées…

Mais si! Dans tous les camps, on a eu recours à l'électrothérapie. Lors d'une séance de la Société de neurologie, le 29 juin 1916, à Paris, Clovis Vincent, ardent propagandiste de cette technique, expliquait que, pour guérir ses patients névrosés de guerre, il avait eu recours aux injures, aux jurons, aux manifestations de colère, feintes ou réelles, «le tout appuyé par des excitations galvaniques intenses». De même, après la guerre, l'ancien médecin major aux armées Georges Dumas avoue: «Avec tous j'appuyais mes raisonnements d'un traitement électrique consistant dans des décharges d'électricité statique.»

De retour au front, quelle pouvait être la motivation de ces soldats?

Ils étaient sans doute perdus pour le combat, mais leur retour avait valeur d'exemple. De tous les documents que j'ai pu consulter, des correspondances, des journaux de guerre, des mémoires ou même des œuvres de fiction, dans la mesure où leurs auteurs avaient eu une connaissance directe, physique de la guerre, il résulte clairement que ces soldats étaient avant tout des hommes opprimés. S'ils ont tenu, c'est d'abord et avant tout parce qu'ils étaient sévèrement encadrés et menacés par leur hiérarchie respective. On dit souvent que les poilus étaient animés par un sentiment national étonnant et que cela explique leur formidable endurance au cours de ces quatre ans et demi de guerre. Après Robert Graves, je pense que le sentiment national n'existe pas dans les tranchées. Il existe avant, lorsque les hommes rejoignent leur drapeau, mais pas après, ou alors de façon marginale. On s'extasie sur l'héroïsme des assauts, mais on oublie de dire que celui qui refusait de monter au feu était abattu par son officier ou par le sergent «serre-file» au fond de la tranchée. Le rôle de ce dernier est d'ailleurs clairement défini dans le manuel du gradé de l'infanterie. Dans ses Cahiers d'un survivant, Dominique Richert raconte comment un lieutenant abattit sans hésiter quatre hommes qui tergiversaient au moment de l'assaut. Toujours selon son témoignage, le lieutenant en question fut abattu deux mois plus tard par ses propres hommes dans le nord de la France.

 

«L'esprit de corps n'existe que dans un cercle très restreint. C'est la vingtaine ou la trentaine de gars avec qui on passe ses jours et ses nuits»

Les exemples de camaraderie, de solidarité entre les combattants font-ils aussi partie des images pieuses?

Oui et non. Il y eut indéniablement de la camaraderie et de la solidarité, comme dans toute communauté humaine. Mais l'esprit de corps n'existe que dans un cercle très restreint, disons celui de l'escouade. C'est la vingtaine ou la trentaine de gars avec qui on passe ses journées et ses nuits. Au-delà, tout est permis. On ira piquer des montres ou des pièces manquantes aux escouades voisines. Parfois même, aux époques de disette, on ira leur voler de la nourriture. Naturellement, c'est un aspect minoré dans la correspondance avec les familles ou dans les mémoires. Mais la détérioration psychologique des hommes est telle que, à en croire certains observateurs, fort peu prenaient la peine d'ajuster leur tir lorsqu'ils apercevaient l'ennemi. Ils se contentaient de décharger leur arme et… leur angoisse. De même, après douze ou quinze mois de feu, de nombreux officiers perdaient la raison ou devenaient complètement neurasthéniques.

Dans votre livre, vous expliquez aussi que cette guerre n'a pas seulement été une histoire d'hommes.

En effet. Contrairement à tout ce que l'on a pu dire, elle a aussi été une histoire de femmes. Les femmes sont omniprésentes à la guerre. En pensée, en rêve, mais aussi… physiquement. Ce qui a attiré mon attention, là encore, ce sont non pas les archives militaires – elles sont muettes sur ce point – mais la presse médicale et les articles faisant état du nombre effarant de maladies vénériennes. Dans chaque armée d'Europe, on a dénombré à peu près 500 000 syphilis ou autres pathologies vénériennes. Il est avéré qu'il se trouvait des femmes à proximité de la zone des combats. La plupart des armées ont installé des bordels. L'armée française, quant à elle, favorisa discrètement leur ouverture et les contrôla sur le plan sanitaire. Le système avait d'ailleurs été expérimenté pendant les guerres coloniales. Cela m'a conduit aussi à m'interroger sur la modification des relations hommes-femmes provoquée par la guerre. A côté de la prostituée, il reste en effet la femme aimée, sublimée, celle que l'on voudrait trouver ou retrouver. Mais, chez certains, la femme finit aussi par être mise en accusation. Pourquoi? Parce que la femme, c'est l'arrière, c'est l'embusquée; on lui en veut d'avoir laissé partir les hommes sans rien dire, sans rien faire, de les avoir laissés s'engloutir, tous autant qu'ils étaient, dans cette communauté de souffrances.

Historien spécialisé dans les questions de défense, Frédéric Rousseau est maître de conférences à l'Esid (Etats, sociétés, idéologies, défense), à l'université Paul-Valéry de Montpellier.

 
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sciences sociales  ->  Agrégation d'Histoire 2004  
 
Chronique de la Grande Guerre à Riquewihr
Dossier : Paroles de poilus

Souvenirs d’un Alsacien
Emile  Hugel   – Témoignage d’un viticulteur alsacien
Reber 2003 /  6.11 € –  40 ffr. / 284 pages
FORMAT : 23×30 cm

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentée par André Hugel.

L'auteur du compte rendu: Agrégé et docteur en histoire, Jean-Noël Grandhomme est l'auteur d'une thèse, "Le Général Berthelot et l'action de la France en Roumanie et en Russie méridionale, 1916-1918" (SHAT, 1999). Il est actuellement PRAG en histoire contemporaine à l'université "Marc Bloch" Strasbourg II.

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But de guerre «principal» de la France en 1914, fédératrice et symbole de l’unification allemande de 1871 et butin commun de tous les États allemands, l’Alsace-Lorraine fut le théâtre des premiers affrontements de la Grande Guerre au cours du mois d’août 1914. Finalement, au bout de trois semaines de combats, seul le sud de l’actuel département du Haut-Rhin devait rester aux mains des Français, tandis qu’ils se voyaient contraints d’évacuer (au prix de pertes énormes) Mulhouse, Colmar et Sarrebourg, et que le rêve de hisser le drapeau tricolore sur la flèche de la cathédrale de Strasbourg s’évanouissait pour plus de quatre ans. Désormais située à l’arrière immédiat du front, l’Alsace demeurera dans la «zone des armées» pendant toute la guerre.

La chronique publiée ici par André Hugel a été écrite par son grand-père, né Français en 1869 à Riquewihr, joyau du vignoble alsacien. Devenu Allemand après que la France vaincue eut signé le traité de Francfort en mai 1871, il retrouva sa nationalité française par la grâce du traité de Versailles en juin 1919. Allemand de fait (néanmoins toujours Français en droit) après la seconde annexion de l’Alsace-Moselle, cette fois par le Reich nazi, en juin 1940 (sans aucun traité), il mourut Français dans son village natal en 1950. Émile Hugel est donc pleinement représentatif de cette génération d’Alsaciens-Lorrains qui changea quatre fois de nationalité au cours de son existence. Blessé au ventre par un coup de pied de cheval dans son adolescence, Hugel n’effectua pas de service militaire chez les «Prussiens», pas plus qu’il ne fut appelé dans le Landsturm (la territoriale) en 1914, déjà âgé de quarante-cinq ans révolus. Son récit n’est donc pas un récit militaire – contrairement aux Cahiers d’un survivant d’un autre Alsacien, Dominique Richert, publiés à Strasbourg par La Nuée bleue en 1994 – mais un éphéméride des événements locaux et internationaux des années 1914-1918, assorti de commentaires très personnels.

Notable, artisan de la résurrection du vignoble alsacien à la veille de la Grande Guerre, Hugel est un témoin privilégié de ces événements. Comme son voisin colmarien Hansi, de trois ans son cadet, il appartient à cette société francophile qui a subsisté dans l’Alsace du début du XXe siècle en dépit de la germanisation continue de la province. Son Journal, écrit en français, prend très souvent une nette tonalité anti-allemande. Hugel décrit aussi l’impact de la guerre sur un village où l’on entend régulièrement tonner le canon (le Linge et le Vieil-Armand ne sont pas loin), faite de privations, surtout en 1917-1918, de maladie, de mort aussi bien sûr, avec les annonces régulières de décès de compatriotes tombés «pour le Kaiser et pour la Patrie». Il illustre l’ambiguïté du retour à la France, dont les représentants, accueillis dans l’enthousiasme le plus sincère en novembre 1918, n’ont pas toujours su conquérir les cœurs des «frères retrouvés». L’incompréhension des «Français de l’intérieur» et des «revenants» (ces fils d’Alsaciens-Lorrains qui ont émigré en France après 1870) devant le particularisme alsacien, fait notamment d’un attachement à un dialecte et à un statut religieux original, conduira à bien des déceptions dans les années vingt, dont les préliminaires apparaissent déjà à la fin de cette chronique.

Document des plus éclairants pour comprendre l’histoire tourmentée d’une province ballottée entre deux souverainetés au cours de son histoire récente, ce récit a une portée qui dépasse largement celle de l’érudition locale.

Jean-Noël Grandhomme
( Mis en ligne le 31/01/2004 )