L’Alsace annexée absente des manuels scolaires

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L’Alsace annexée absente des manuels scolaires

Nicolas ROQUEJEOFFRE

7-9 minutes


  • Comment donner plus de visibilité dans les manuels scolaires à l’histoire des départements annexés durant le dernier conflit mondial ? Plusieurs historiens interpellent, via une motion, les députés alsaciens pour qu’ils fassent pression à Paris.

Par – 28 oct. 2022 à 19:30 – Temps de lecture : 4 min

« Notre objectif est de sensibiliser nos parlementaires en leur demandant de porter ce message à Paris et de défendre ce dossier. » Le dossier en question fait l’objet d’une motion qui a circulé début octobre lors du colloque au Mémorial de Caen dédié à l’incorporation de force et à l’annexion des départements mosellan et alsaciens.

C’est l’historien Jean-Laurent Vonau qui en est l’instigateur. Que dit la motion ? Évoquant le « crime contre l’Humanité commis envers 100 000 Alsaciens, un sur dix à l’époque, et 30 000 Mosellans [selon l’historien Nicolas Mengus, c’est même plus de 142 000 femmes et hommes] », le texte déplore que « ces faits » ne soient pas « mentionnés dans [les] livres d’Histoire ». « Ils ne sont donc pas enseignés. Passée sous silence, la tragédie de ces victimes du nazisme risque de s’effacer ».

« Combien de fois entend-on parler de volontaires ! »

La motion demande donc l’intégration de cette « mémoire régionale d’Alsace dans la mémoire nationale ». Pour Jean-Laurent Vonau, il y a urgence avec la disparition des derniers témoins de l’incorporation de force, sujet qui, de façon récurrente, fait l’objet d’amalgames. « Combien de fois entend-on parler de volontaires !, fulmine Jean-Laurent Vonau. C’est une forme de révisionnisme. »

Ce débat sur la présence de ce pan de l’histoire régionale dans les manuels d’histoire n’est pas nouveau, comme le relève Marcel Spisser, ancien inspecteur et actuel président de l’association des amis du Mémorial d’Alsace-Moselle. Celui qui a participé à la rédaction « d’une vingtaine de manuels scolaires » rappelle qu’avant 2010, les livres pouvaient consacrer de deux à quatre pages à l’Alsace/Moselle durant la dernière guerre : « la violation du droit international, la défrancisation systématique, la germanisation par la terreur et surtout l’incorporation de force ». Aujourd’hui, une phrase à peine et une carte de la France après l’Armistice de juin 1940 résument l’ensemble. « Dans une grande partie de la France, notre histoire était connue. Ce n’est plus le cas », déplore l’historien.

« Nous sommes en Alsace et j’en touche un mot »

Que disent les programmes (définis par arrêtés de janvier 2019) à partir desquels sont rédigés les manuels scolaires ? En terminale (voie générale), les professeurs doivent, en treize ou quinze heures, évoquer les fragilités des démocraties, les totalitarismes et la guerre mondiale. Sur ce dernier point, sont listés la violence du conflit mondial, le génocide des juifs d’Europe et des Tsiganes, les conséquences de la défaite de 1940, le régime de Vichy, la Résistance, la France libre, la Libération, la guerre du Pacifique… « Quatre heures par chapitre ne nous permettent pas de tout traiter et l’on doit faire des choix, souligne une enseignante haut-rhinoise. Il faut donc être synthétique, maître-mot de nos instances dirigeantes ! »

L’incorporation et l’Alsace annexée, un « détail » de la Seconde Guerre mondiale, lâche, un rien provocateur, cet enseignant colmarien, dont un grand-oncle a été détenu au camp russe de Tambow ? « Les tendances lourdes aujourd’hui, c’est la place des femmes, l’importance des troupes coloniales et, dans la déportation, la mention des Tsiganes et des homosexuels. » Surtout, il souligne bien que « les tables de la Loi » sont les programmes et non pas les manuels qui ne sont qu’un outil de travail. « Les enseignants les utilisent de moins en moins », assure-t-il. Sa liberté pédagogique lui permet de mentionner le cas de l’Alsace annexée, ce qu’il fait. « Nous sommes en Alsace et j’en touche un mot. Et souvent, mes élèves ne connaissent pas »

« On s’accroche à chacune de nos heures ! »

La problématique est identique en classe de 3e , l’autre niveau en secondaire où l’on aborde le dernier conflit mondial. Là encore, les programmes (arrêtés de juillet 2019) sont généraux et laisse le choix aux enseignants d’évoquer cette histoire régionale, mais le peu de temps consacré à ces chapitres freine les initiatives. « On s’accroche à chacune de nos heures ! », confirme cet enseignant de la région colmarienne. « On court après un programme en oubliant qu’il y a des réalités locales qui, je pense, ont une résonance nationale »

La proximité de sites historiques (camp du Struthof, mémorial Alsace-Moselle, musées de la Poche de Colmar, de la ligne Maginot…) pourrait inciter les professeurs à ancrer leurs cours sur ces lieux de mémoire. « Mais on doit faire des choix, poursuit l’enseignant. Cette année, j’accompagne les élèves au musée du Linge [combats de 1915] », car le premier conflit mondial est également au programme de 3e.

Les « oubliés de l’Histoire »

Une de ses collègues, en poste à Colmar, a déjà fait intervenir dans sa classe de 3e des anciens incorporés de force. « Il s’agit tout de même de la seule région de France qui fut annexée pendant la guerre, insiste-t-elle. Ça ne se limite pas à l’histoire locale et c’est une lacune de ne pas l’évoquer. » Elle prend le temps d’aborder le sujet, même si elle sait qu’elle rognera sur d’autres passages du programme.

Le sujet peut-il (va-t-il) interpeller les parlementaires alsaciens ? Est-il encore « porteur » électoralement ? En mars 2015, le député de Saverne, Patrick Hetzel, avait écrit à la ministre de l’Éducation nationale, à l’époque, Najat Vallaud-Belkacem, lui demandant que les « oubliés de l’Histoire », les incorporés de force, « puissent être inclus dans les prochains programmes scolaires ». La ministre de Manuel Valls avait renvoyé le député vers le conseil supérieur des programmes. Il compte récidiver auprès du ministre Pap Ndiaye. « Et si cela ne bouge pas, directement auprès du président de la République. »

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