Ernst Jünger (1895-1998), un indestructible dans la tempête du XXème siècle
Témoin exceptionnel du XXe siècle, mort à cent deux ans, Ernst Jünger a vécu en Allemagne sous quatre régimes politiques et participé à deux conflits mondiaux. Passionnément controversé, l'écrivain se définissait lui-même comme un anarque.
Ernst Jünger semblait indestructible. Blessé sept fois, combattant en première ligne dans les tranchées allemandes durant quatre longues années, il a survécu à la plupart de ses contemporains, en vivant jusqu’à l’âge de 102 ans.
L'expérience des Grandes Guerres laisse chez lui une marque indélébile, et inspire l'une des plus grandes œuvres de la littérature poilue, Orages d'acier (1920). Elle aiguise aussi un fort sentiment nationaliste, qu'il développe dans plusieurs revues de l'entre-deux-guerres.
Il ne dispose pas d'un point de vue transcendant pour juger le monde, ce qui fait que chez lui la confusion entre ce qui est juste et ce qui advient est pratiquement permanente, ce qui quelquefois met très mal à l'aise, et empêche de porter un jugement sur lui. François Sureau
Toute sa vie, il demeure un personnage ambigu en Allemagne, où on lui reproche ses accointances pour l’extrême droite. Car il fut proche du parti nazi jusqu’à 1933 et à l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Insaisissable, il refuse les avances de Goebbels qui veut en faire un député du NSDAP.
Il y a un souffle lyrique, une espèce d'utopie biotechnique, quand il parle par exemple de l'alliance entre l'ordre technique et l'élémentaire, une sorte de dionysisme technicien. Gilbert Merlio
Dans le même temps, il rédige Le Travailleur (1932), un livre aux relents antidémocratiques, exaltant la société technicienne. Durant la guerre, il sera au courant du complot contre le Führer sans jamais dénoncer personne, mais sans s'engager pour autant dans la Résistance. En 1939, il écrit Sur les falaises de marbre, un roman de fiction qui critique implicitement la dictature nazie.
Qui était donc Ernst Jünger ? Il se définissait comme un anarque, c’est-à-dire un personnage en retrait du politique, simple observateur en exil intérieur. Après la guerre, il renonce à son engagement militant et se retire dans le village de Wilflingen (Baden-Württemberg, Allemagne) où il vit proche de la nature, cultive son jardin et expérimente les paradis artificiels.
Un documentaire de Matthieu Garrigou-Lagrange, réalisé par Lionel Quantin. Mixage : Claude Niort. Attachées d'émission : Laurence Jennepin et Mathilde Barbier. Lectures : Manu Laskar. Collaboration : Juliette Dronne et Sylvia Favre. (1ère diffusion : 15 février 2014).
Pour aller plus loin
- Ernst Jünger, Carnets de guerre 1914-1918, traduction de Julien Hervier, éditions Christian Bourgeois (2014)
- Julien Hervier, Ernst Jünger, Fayard (2014)
- Michel Vanoosthuyse, "Ernst Jünger, itinéraire d’un fasciste clean. Dernières publications, derniers masques", Agone, n°2 (2014)
- François Lagarde, Le Rouge et le Gris, Ernst Jünger dans la Grande Guerre, documentaire historique, 3h28 (2017) :
- Site de la Maison des disciples, mémorial à Ernst et Friedrich Georg Jünger
- Biographie sur le Dictionnaire et guide des témoins de la Grande Guerre, Crid 14-18