Compte rendu du colloque des 6 et 7 mars 2006 dans le cadre du programme de formation-recherche "REPRESENTATION DES CONFLITS ET CONSTRUCTION DE LA PAIX" Le colloque était placé sous le thème : "Paix civile, paix confessionnelle" Colloque organisé à l’Université de Toulouse 2 – Le Mirail (Maison de la recherche) Le colloque était co-organisé par le CIERA et l’Université de Toulouse 2 (CERAM) avec le soutien de l'IRPALL. Il était placé sous la direction de Jean-Paul Cahn (professeur, Université Paris 4, IRICE), Françoise Knopper (professeure, Université Toulouse 2, CERAM) et Anne-Marie Saint-Gille (professeure, Université Lyon 2, LCE). Lors de la première journée d'étude le 21 octobre 2005, l’accent avait été mis sur les notions de "guerre juste" et "paix juste", en insistant sur l’aspect dynamique de la notion de paix, sur son aptitude à faire évoluer les relations internationales tout comme l’identité nationale et les perceptions de l’altérité. Un angle d'approche différent mais complémentaire a été choisi pour ce colloque qui s'est notamment articulé autour de l'analyse de la conception du lien, parfois intrinsèque, parfois antithétique, parfois recherché, parfois involontaire, entre les notions de "paix civile" et de "paix confessionnelle" en fonction des époques et des auteurs évoqués. Le choix d'un cadre chronologique large a permis d'analyser l'évolution de ces concepts et de leur rapport depuis les guerres de religion et la paix d'Augsbourg jusqu'à l'après-guerre froide. En croisant les regards de spécialistes germanistes et historiens, le colloque a permis d'apporter des éléments de réponse aux deux grands axes de recherche de ce projet, "Perceptions et représentations de la guerre et construction de la paix" et "La question de la guerre et de la paix et les politiques publiques, nationales et internationales de l’ère des Etats Nations à l’après-guerre froide". La première séance, centrée sur l'époque du XVIe au XVIIIe siècle, lorsque les notions de "paix civile" et "paix religieuse" sont encore étroitement liées, était présidée par Alain Ruiz (germaniste, Université de Bordeaux 3). La matinée s’est ouverte sur la communication de Thomas Nicklas (historien, Université d’Erlangen) qui, dans son intervention "Les idées de paix en 1555 ? La culture politique d’un compromis indispensable", a sondé l’enjeu de la Paix de Religion d’Augsbourg (1555) pour la cause protestante au sein du Saint Empire et a examiné dans ce but les positions respectives des théologiens et des juristes face à cette paix. Il a choisi pour point de départ la thèse controversée de Carl Schmitt (1956) selon qui les agents de la reconstruction de l’Etat auraient alors "détrôné" les théologiens pour qui le politique et le religieux vont encore de pair. Se référant aux travaux d’Olivier Christin, T. Nicklas a rappelé que des fondements de l’Etat moderne ont été définis à Augsbourg, dans la mesure où les juristes y ont élaboré une coexistence pacifique en ne se souciant guère d’objectifs théologiques. Cette paix comporte deux facettes matérialisées par l’existence de deux documents distincts et complémentaires, une paix confessionnelle (Religionsfrieden) et une paix territoriale (Landfrieden), cette dernière déterminant les détails de la procédure à suivre et renforçant pour ce faire le pouvoir 2 des Cercles créés en 1512. Ce compromis est enfin moderne dans la mesure où il est conclu en court-circuitant les autorités du monde médiéval, le pape et l’empereur. L’Empire s’organise dès lors autour des grands princes et favorise le renforcement des Etats. En effet, si ce compromis admet la bi-confessionnalité de l’Empire, il insiste bel et bien sur le principe du mono-confessionnalisme pour les territoires. Toutefois, les sujets ne se verront pas reconnaître de véritable liberté religieuse en dehors du jus emigrandi. Ce compromis de 1555 permet donc tout au plus de vivre la discorde religieuse sans mettre en cause l’existence physique de l’autre, ce qui explique du reste que l’œuvre d’Augsbourg soit entérinée en 1648. Les juristes sortent-ils dès lors vainqueurs de ce compromis ? Selon T. Nicklas, ce sont plutôt les autorités politiques qui accroissent leur pouvoir puisque les questions confessionnelles vont ressortir de leur compétence, les enjeux confessionnels deviennent par contre un élément annexe de la paix politique et l’on assiste nettement à leur politisation. Sur le plan confessionnel, la paix d’Augsbourg, du fait qu'elle lie la notion de paix confessionnelle à celle de paix civile, renforce durablement la concurrence entre les confessions après 1555 et favorise une pérennisation ou un accroissement de l'influence de la religion sur les habitants des territoires du Saint Empire. Augsbourg engendre cette intrication des Etats et des Eglises en renforçant la concomitance entre revendications religieuses et percée de l’Etat moderne, or seule la stricte séparation du religieux et du politique peut rendre la paix religieuse et civile durable. Une relecture de la théorie des deux règnes de Luther a alors permis à T. Nicklas de formuler l’hypothèse selon laquelle Luther libèrerait le politique du religieux et inversement. Chaque domaine obéissant à ses règles propres, cette doctrine admet l’autonomie des deux sphères et est en cela plus proche des réalités modernes que les propositions des hommes de loi qui lient l’appartenance religieuse au renforcement de l’Etat, rendant dès lors la réalisation de la paix d’Erasme impossible. La discussion ouverte par Alain Ruiz a permis de s’interroger sur les progrès accomplis en terme de tolérance religieuse, A. Ruiz préférant qualifier le jus emigrandi de droit d’expulsion. Partageant ce point de vue, T. Nicklas a proposé de déceler dans la paix d’Augsbourg plutôt la manifestation d'un progrès de l’intolérance, les princes allemands ne disposant en effet pas de ce droit avant cette date. Thierry Wanegffelen a invité à replacer cette question dans son contexte spatial et temporel. La mise en place d’une tolérance définie positivement est bien plus tardive, quant au droit d’émigrer, il a constitué, du moins au regard de la situation des calvinistes en France, une avancée considérable. Il a enfin rappelé l’impact de la paix d’Augsbourg en France, où les juristes érasmiens sont partis de cet exemple pour penser la déconfessionalisation du religieux dans la sphère politique (L’exemple allemand est notamment évoqué en 1561 au colloque de Poissy). Guido Braun (historien, Université de Bonn et Institut Historique Allemand de Paris) a ensuite proposé une communication sur "Les conceptions de paix protestantes au congrès de paix de Westphalie (1643-1649)". G. Braun a rappelé tout d’abord les conditions structurelles des pourparlers qui constituent une nouveauté dans l’histoire de la diplomatie européenne. En admettant les Etats à la table des négociations, l’empereur reconnaît de fait leur jus belli et pacis et admet que ce corpus puisse représenter l’Empire. De plus, la répartition des délégations en collèges en fonction de leur appartenance religieuse est le reflet de la diversité des situations. G. Braun a ensuite présenté les conceptions de paix des Etats entre 1643 et 1645. Les gravamina ecclesiastica, qui sont discutées à partir de l’été 1645 à la demande de la Suède qui souhaite reprendre les dispositions de 1555 et les appliquer aux calvinistes, conduisent à l’exposition de mémoires programmatiques auxquels répondent les catholiques. Les négociations font apparaître dès lors les positions diamétralement opposées des catholiques et des protestants, 3 mais également de profondes divergences à l’intérieur du camp protestant. G. Braun a détaillé ces différentes positions et a mis en évidence la présence de différents courants, les luthériens, forts du soutien suédois, étant alors en position de force. Le fait qu’un compromis soit alors trouvé doit être compris comme le résultat d’une nécessité politique. G. Braun est ensuite revenu sur les acquis des traités pour les protestants. Ils consistent sans surprise dans la désignation de l’année 1624 comme année normale servant de règle pour fixer la ligne de séparation confessionnelle à l’intérieur du Saint Empire et dans l’extension de la paix religieuse d’Augsbourg aux calvinistes. Le fait que la paix de religion soit élargie aux calvinistes mais limitée à ces trois confessions montre que ni la notion de tolérance, ni l’individu, ne sont au centre de ces traités, mais que l’on assiste à la traduction, en termes juridiques, de la coexistence sociale de trois Eglises. L’exercice du droit l’emporte donc tout bien considéré sur la tolérance. Le seul progrès allant dans le sens d’une liberté de conscience accordée aux individus peut se trouver dans la devotio domestica et le droit d’assister à la messe dans un pays voisin, mais elle apparaît comme très limitée compte tenu du droit dont disposent alors les princes qui peuvent expulser les personnes concernées. Les traités renforcent finalement l’autonomie intérieure des Etats dont ils assurent durablement la liberté confessionnelle. Il ne peut être question de tolérance religieuse au sens moderne, G. Braun préférant parler d’une coexistence pacifique qui suffit toutefois à expliquer le succès dont ces traités bénéficient aux XVIIe et XVIIIe siècles. Dans le cadre de la discussion, François Genton et Anne Lagny ont demandé à G. Braun de préciser comment est argumentée l’exclusion des Juifs et des sectes protestantes (anabaptisme et unitarisme notamment) dans les traités. Comme l’a précisé G. Braun, le statut des Juifs, placés sous la protection de l’empereur, est déjà réglé à cette date. L’exclusion des autres minorités protestantes n’est en revanche pas motivée dans les traités. En mentionnant les termes "à l’amiable" (gütlicher Vergleich) utilisés dans la formulation du traité d’Osnabrück, F. Knopper, soucieuse de souligner l’aspect dynamique de la notion de paix, a ensuite interrogé G. Braun sur l’apport des traités à la construction de la paix après 1648. G. Braun a insisté sur les aspects structurels et notamment sur la délibération en collèges forçant catholiques et protestants à s’entendre. Dans une perspective historiographique, A-M. Saint-Gille a enfin demandé à G. Braun de préciser si la revalorisation des traités de Westphalie après 1945 s’opère à partir de critères seulement constitutionnels ou si les apports confessionnels sont pris en compte. Alors qu'au XIXe siècle, les traités sont jugés de façon négative sous le prétexte qu'ils auraient empêché et retardé l'unification allemande, ils sont effectivement réhabilités après 1945 : l'ouvrage collectif Pax optima rerum dirigé par Ernst Hövel en 1948 et celui de Fritz Dickmann de 1959, qui reste une des meilleures études sur ce sujet, permettent d’affirmer que les traités sont jugés favorablement pour des raisons essentiellement politiques, les aspects confessionnels étant quant à eux discutés avec une ferveur limitée. La communication d'Anne Lagny (germaniste, Université Lille 3) s'est proposée d’étudier "La paix confessionnelle dans les 'Pia Desideria – Désir sincère d’une amélioration de la vraie Eglise évangélique' de Spener", paru en 1675, après la guerre de Trente ans et la paix de Westphalie de 1648. Comme le prouve le sous-titre, ce texte signale d’emblée la crise que traverse alors la piété. En effet, en temps de guerre, l’engagement du chrétien envers sa foi relève de l’évidence puisqu’il se bat pour elle. Or, au temps de la paix confessionnelle, Spener craint que le chrétien ne se démobilise et, pour empêcher ceci, soumet à la communauté des questions concrètes. Dans cette optique, les piétistes créent des conventicules permettant d’organiser des séances de lecture simple de la Bible. Il s’agit de revenir à un rapport plus personnel du chrétien à la religion. Selon A. Lagny, ce texte témoigne de l’idéologie piétiste la plus fervente puisque le piétisme a pour but de "réveiller" 4 l’Eglise évangélique. Cette idée est d’ailleurs très clairement évoquée dans le sous-titre des Pia Desideria : Désir sincère d’une amélioration de la vraie Eglise évangélique. Le texte Pia Desideria a donc pour objectif de refonder l’Eglise luthérienne et d’en appeler à la mobilisation pacifique des chrétiens. Aussi, dans son œuvre, Spener a-t-il recours à la métaphore de la chevalerie, qu’il emprunte à Luther, pour illustrer l’attitude de mobilisation constante du chrétien qui se doit de respecter les codes de l’honneur et de la vertu. Pour A. Lagny, on assiste à cette époque à l’émergence d’une nouvelle mentalité religieuse qui ravive l’antagonisme entre chrétiens. En effet, la période contemporaine des Pia Desideria n’est plus une période marquée par la guerre, l’individu n’est plus menacé d’extermination. Le temps de la paix est un temps plus long qu’il s’agit d’aménager. Dans ses propos, Spener reste modéré, mais il dresse un bilan très sombre de l’Eglise luthérienne. Il constate que l’Eglise est menacée par un double péril, intérieur, car elle se trouve dans un état de déréliction et extérieur en raison de la Contre-Réforme. Or, à l’époque de Spener, les temps sont différents et les persécutions ont aussi changé d’aspect, elles se font plus insidieuses, mais elles ont toujours le même objectif, celui de détourner les luthériens de leur foi et de gagner des fidèles au catholicisme. A cette époque, d’après A. Lagny, on assiste à une situation étrange, on a affaire à une sorte d’atonie spirituelle. Spener affirme que, pour le chrétien, il ne s’agit plus de mourir pour sa foi, mais au contraire de vivre pour elle. Pour sortir de la crise, Spener propose d’accentuer la dimension spirituelle du combat pour la foi, sans pour autant aggraver les conflits internes à la foi évangélique. Spener rappelle les différents fronts confessionnels qui perdurent, comme l’opposition à Rome, mais il souligne également la proximité de la confession calviniste. En ce sens, les Pia Desideria montrent l’importance des livres d’édification à cette époque, d’autant qu’elles esquissent des affinités spirituelles transconfessionnelles. A. Lagny a conclu sur le fait que les Pia Desideria montrent que la controverse n’est pas le seul moyen de faire revenir l’homme de ses erreurs. Les Pia Desideria mettent l’accent sur les armes que constituent la persuasion, la pastorale et la reconnaissance du prochain, même s’il s’agit d’un dissident. En temps de paix confessionnelle, il s’agit donc de mener un combat avec des armes spirituelles. Il devient possible de regarder au-delà de sa confession, puisqu’il est permis de prendre un dissident pour modèle dans la voie vers la sainteté. Spener ose même citer en exemple les Turcs et l’Islam. Les Pia Desideria proposent donc une nouvelle conception de la tolérance. C’est autour de cette idée que s’élaborera la parabole des anneaux chez Lessing. Lors de la discussion qui a fait suite à son exposé, A. Lagny a prolongé sa réflexion à propos de cette nouvelle forme de tolérance en approfondissant l’engagement de Spener par rapport au calvinisme et à l’orthodoxie luthérienne, pour répondre à une question d’Alain Ruiz portant sur les rapports entre Spener et le calvinisme. A. Lagny a expliqué que Spener s’engage dans la controverse qui oppose les luthériens aux calvinistes mais qu’il finit cependant par désavouer cet engagement. Il ne prend pas position contre les calvinistes mais il reste pourtant un luthérien engagé puisqu’il mène toujours des controverses religieuses dans sa correspondance. Cependant, il s’efforce sans cesse de révéler le principe rassembleur, de montrer que, au fond, on peut trouver un accord acceptable par tous. Il maintient donc l’orthodoxie de ses positions, tout en tâchant de réduire les points de désaccord. Pour A. Lagny, il y a donc chez Spener une véritable dialectique entre son identité confessionnelle solide et sa volonté de réduire les désaccords. Dans son intervention sur "La réception des traités de paix de Westphalie chez le juriste Nicolaus Hieronymus Gundling (1736)", Gérard Laudin (germaniste, Université de Paris IV) a permis la redécouverte d’une œuvre posthume de ce professeur de droit de l’université de Halle qui a par ailleurs contribué à l’essor de la publicistique d’Empire et à 5 l’étude de l’histoire des Etats européens. L’intérêt principal de l’œuvre réside dans la richesse de la documentation qu’elle propose sur un texte réputé confus (cf. Pütter, Moser) ainsi que dans les références qu’elle contient sur la réception des traités par les juristes d’Empire. Bien que, dans les prolégomènes, Gundling décoche quelques flèches contre la réception catholique des traités, il comprend leur visée politique et montre la complexité des enjeux politiques. La politique, définie chez Gundling comme un rapport de forces dont certains souverains cherchent à tirer parti, fait disparaître les questions confessionnelles derrière les intérêts temporels. La définition qu’il donne de la paix comme paix raisonnable dont le but est la recherche d’une paix durable est en tout point compatible avec celle qu’en donne Zedler à la même période. G. Laudin est ensuite revenu, continuant ainsi à lier la notion de paix aux questions de religion, sur la discussion autour du concept de sacra majestas employé par l’empereur et revendiqué par les autres souverains français et suédois, un terme vide de sens que l’on cherche alors à redéfinir. Par ailleurs, Gundling insiste sur la dimension chrétienne et européenne de ce traité et tente de définir un espace propre à l’Europe chrétienne. Amené à examiner les dispositions de l’article V du traité d’Osnabrück, Gundling approuve enfin toutes les solutions imaginées (y compris dans les villes paritaires) afin de ménager les équilibres internes. Le principe selon lequel personne ne peut être inquiété en raison de sa confession et aucune partie ne peut engager des attaques contre l’autre jouxte la question du droit de résistance. Soulignant le problème que pose la possibilité de représailles protestantes en cas d’attaque catholique, Gundling se range du côté de l’empereur qui s’y oppose. Toute perspective de réunification confessionnelle étant exclue, Gundling donne donc à cette question une réponse pragmatique reposant sur l’idée implicite d’équilibre de la crainte. Ainsi, Gundling souscrit tout bien considéré à la plupart des formulations du traité et fonde la tolérance en raison. Le jus reformandi n’appartenant pas au droit naturel mais au pouvoir du souverain et lui permettant de mieux asseoir son pouvoir, mieux vaut alors selon lui confier aux politiques la charge de la paix civile. Gundling a une conception de la paix différente de Hobbes, il élude la question de la "guerre juste" et semble se ranger à la théorie de la paix partagée, formulée plutôt comme un équilibre précaire. La discussion ouverte par A. Ruiz a permis de revenir sur la vision de l’Empire chez Gundling par rapport à la définition négative donnée par Pufendorf et sur le recours à la dénomination sacrum imperium qui surprend à cette date. G. Laudin a précisé que, contrairement à Pufendorf qui doute de la viabilité du Saint Empire en raison du caractère mixte de sa constitution, Gundling émet un jugement globalement très positif, nuancé tout au plus par la crainte que les traités ne garantissent pas la paix éternelle qu’ils prétendent établir. C’est d’autre part la première fois que le caractère sacré de l’Empire est qualifié d’inviolable, ce qui doit être plutôt compris comme une tentative de redonner une consistance à la notion impériale en refusant d’en gommer ce qui en fait l’originalité. A la question d’A. Lagny qui s’est demandé si l’on trouvait chez Gundling un portrait du prince vertueux, G. Laudin a répondu y déceler un portrait en creux, l'auteur critiquant essentiellement les positions maximalistes. Ainsi l’empereur perd-il la partie le jour où il refuse un recul salutaire. J.-P. Cahn a enfin souligné le caractère très actuel de son appréhension de la guerre et de la paix. La guerre y apparaît comme le fruit de l’intransigeance et des intérêts économiques des différentes parties et la paix se construit à l’échelle européenne à l’exclusion des Turcs. La séance de l'après-midi était présidée par Jean-Paul Cahn (germaniste, Université Paris IV). La première intervention de l'après-midi, "Bonaparte. De Campo Formio à Lunéville : Bonaparte, héros de la paix. Aux origines d'un nouveau mythe du Sauveur" par Alain Ruiz 6 (germaniste, Université de Bordeaux 3) a permis d'élargir le cadre chronologique de la réflexion et de faire le lien avec la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle. Le nom de Napoléon évoque de nombreuses batailles victorieuses, mais aussi de terribles défaites. Pourtant, à son époque, le "Dieu des batailles" est davantage glorifié comme homme de paix et son nom est souvent associé à la figure du Christ par ses contemporains. A la fin du XVIIIe siècle, on assiste à un mouvement général de laïcisation du monde, ce qui correspond à un changement profond dans les mentalités : jusqu'alors, les Allemands ont en effet considéré la guerre comme un châtiment de Dieu face auquel on ne peut que s'en remettre à la miséricorde divine. La paix de Westphalie de 1648 avait été accueillie comme un miracle (ein Weltwunder) et on y voyait l'effet d'une intervention divine. A la fin du XVIIIe siècle, pour les sujets allemands, l'affrontement des anciens régimes avec la nation citoyenne est l'affaire des princes seuls, mais dont les populations civiles ont à subir les conséquences. Certes, en 1795, la paix séparée de Bâle est signée, mais la guerre se poursuit dans le Sud de l'Empire. Grande est donc la nostalgie de la paix à l'époque où Kant rédige son texte Zum ewigen Frieden. Bonaparte, constate, lui aussi, que : "L'Europe veut la paix". Son offre de paix mène au traité de Campo Formio, et ses contemporains le louent dorénavant comme un homme de paix. Des hommes de lettres comme Ernst Ludwig Posselt ou Friedrich Lehne se font l'écho de ces sentiments. Bonaparte devient le héros qui a échangé le glaive contre le rameau de la paix, un pacificateur (Friedensstifter). Le prestige de Napoléon atteint un premier sommet lors du Congrès de paix général avec l'Empire germanique à Rastatt en décembre 1797. A partir des négociations de paix, l'association de Bonaparte au Christ devient de plus en plus fréquente. Krauert l'évoque comme "notre Sauveur Bonaparte" (unser Heiland Bonaparte). Une attente quasi messianique voit le jour : Bonaparte ayant délivré les Italiens du joug de l'Ancien Régime, on espère maintenant qu'il délivrera d'autres populations et sera ainsi à l'origine d'une nouvelle ère. C'est également à Rastatt qu'il recommande aux prêtres allemands et aux représentants du pape de "laisser à César ce qui appartient à César" et de ne pas se mêler de politique. Au moment de la guerre d'Egypte, si le nom du Christ n'apparaît nulle part (on est en période de Révolution), il semble pourtant que Bonaparte cherche à capter les réminiscences du Christ pour se forger une image à sa mesure. Un tableau d’Antoine-Jean Gros le représente par exemple tel le Christ visitant les pestiférés de Jaffa. Lorsqu'en Europe une nouvelle coalition inflige des défaites aux armées françaises, on souhaite son retour du pays des pyramides. Il est par la suite décrit en nouveau Saint Georges tuant l'hydre à cinq têtes du Directoire. Ressenti comme un événement providentiel, le 18 Brumaire est accueilli avec satisfaction et est vécu comme un retour à l'ordre. La conclusion de la paix de Lunéville en 1801 est accueillie avec enthousiasme général, dans un climat d'allégresse. Le Traité d'Amiens signé avec la Grande Bretagne en mars 1802 ainsi que les Lois Concordataires du 18 avril 1802 (jour de Pâques) ne font que renforcer cette image de Napoléon, prince de la paix, messie attendu par l'humanité souffrante et héros de l'histoire universelle. On va jusqu'à croire qu'a enfin sonné l'heure du millénium, ce concept étant bien sûr laïcisé. Le culte impérial, basant ses fêtes principales sur l'ancien calendrier chrétien, contribue à établir définitivement la confusion. En Souabe, une petite secte séparatiste, "Die Stillen im Lande", va même jusqu'à adorer Napoléon en tant que messie revenu sur Terre. L'espoir de paix des contemporains se maintient jusqu'à la veille de la campagne de Russie de 1812. Goethe luimême ne va-t-il pas écrire : "Celui qui peut tout vouloir veut aussi la paix." La discussion s'est d'abord orientée sur la question, soulevée par J.-P. Cahn, de l'image d'un Napoléon continuateur de la Révolution qui, selon A. Ruiz, ne date que d'après sa chute. Ce sont des personnalités comme H. Heine qui présenteront le Mémorial de SainteHélène comme œuvre de l'héritier de la Révolution française. Même si la première image de 7 Napoléon aura été celle d'un héros républicain libérant l'Italie et donnant naissance à des Etats citoyens, rares sont ceux qui resteront fidèles au message républicain : la plupart deviendront césaristes. En réponse à une question de M. Coustillac, A. Ruiz a ensuite précisé que la construction d'une image messianique de Napoléon est autant le fait du monde catholique que du monde protestant. La figure d'un Napoléon Antéchrist, à laquelle s'est intéressée S. Le Moël, apparaît assez tôt également : dès la campagne d'Egypte de 1798, on observe le début d'une légende noire autour de Napoléon qui supplante même momentanément celle du Christ, mais qui disparaît avec Sainte-Hélène où l'image récurrente est plutôt celle d'un Christ crucifié pour avoir voulu sauver ses contemporains. Christina Stange-Fayos (germaniste, Université de Montpellier 3) a ensuite évoqué "Le motif de la guerre et de la paix dans la revue 'Evangelische Frauenzeitung' sous Guillaume II". Cette revue féminine protestante est créée en 1899 par l'organisation allemande des femmes protestantes (Deutscher Evangelischer Frauenbund), la seule organisation protestante du Reich qui se réclame des femmes. Même si l'Eglise ne lui apporte que peu de soutien, le Deutscher Evangelischer Frauenbund connaît un certain succès : en 1908, l'organisation compte environ 9000 membres, un succès qui peut se mesurer à l'aune de sa revue, étant donné que les membres sont soumis à l'obligation de s'y abonner. En 1914, alors qu'elle existe depuis dix ans, la revue est tirée à 16200 exemplaires d'environ 190 pages chacun. La revue paraît de 1904 à 1941. De 1901 à 1934, la présidente de la revue est Paula Müller qui, en tant que rédactrice en chef, influence fortement le mouvement. Quelle est la réaction de la revue à la veille de la Première Guerre mondiale et quelles sont ses positions tout au long de la guerre? Dans l'ensemble, le contenu de la revue est plutôt profane, il s'agit généralement d'un compte rendu thématisé de l'actualité. Sous couvert d'évangile, la revue réclame des réformes sur le plan social et cherche à montrer que l'évangile reste pertinent dans la modernité. Les milieux ecclésiastiques estiment que la revue va trop loin, même si les rédacteurs insistent sur le fait qu'ils ne sont pas partisans du mouvement d'émancipation des femmes. Pour montrer sa bonne foi, la rédaction décide alors d'ajouter une nouvelle rubrique au journal, intitulée "Essais et appels patriotiques" (Patriotische Aufsätze und Aufrufe) où sont évoqués des exemples de femmes patriotiques. On insiste également sur l'importance de défendre l'unité nationale. Avant même la déclaration de guerre, la revue publie un article sur les tâches des femmes en temps de guerre : les femmes, est-il dit, doivent être prêtes à accomplir leur devoir national si nécessaire. Pour la revue, le front intérieur relève du domaine de la femme, alors que le front extérieur est le domaine de l'homme. Le journal explique également qu'il s'agit d'une question d'honneur pour l'Allemagne de respecter les alliances, notamment avec l'Autriche-Hongrie. L'honneur de la patrie est ainsi présenté comme l'enjeu de la guerre, et par ce biais, il devient possible de présenter cette guerre pour l'honneur comme une guerre juste. Dans son article "Le réveil de l'Allemagne" (Deutschlands Erwachen), publié juste après la déclaration de guerre, Paula Müller ne célèbre certes pas la guerre, mais elle en montre néanmoins un côté positif : elle considère en effet que cette guerre permettra le renouveau moral et éthique du peuple que le Evangelischer Frauenbund espérait depuis longtemps. Au fil des articles, la guerre est décrite comme cathartique, voire salvatrice. Elle est perçue comme une délivrance du pessimisme culturel ambiant et de la déchéance morale, et comme moyen de surmonter la désunion. Paula Müller part de l'idée d'une guerre défensive, d'une guerre juste, dans laquelle on attend la victoire de l'Allemagne. Elle se base pour ceci sur une interprétation de Luther : l'Etat a pour rôle de préserver l'ordre public, il doit donc se défendre contre une attaque qui met le royaume et les sujets en péril. 8 Le Evangelischer Frauenbund fait également appel à plusieurs reprises à la conscience nationale des lectrices en lançant un appel à souscrire des emprunts afin de soutenir les efforts de guerre. L'Allemagne est décrite comme la nation à laquelle Dieu aurait assigné la double tâche de défendre les valeurs chrétiennes et de punir les nations qui remettent ces valeurs en question. Plus la situation militaire se dégrade au cours des années à venir, plus la revue appelle ses lectrices à tenir bon, car il est de leur devoir de soutenir la guerre sur le front intérieur. Jusqu'à la fin de la guerre, Paula Müller continue à espérer une victoire de l'Allemagne et soutient que Dieu donnera à l'Allemagne la force de continuer son combat. En octobre 1918, elle cherche encore à convaincre que les mauvaises nouvelles du front ne sont en fait que de la propagande. Elle lance même un neuvième appel à souscrire des crédits, un mois seulement avant la fin de la guerre. Il semble qu'elle n'ait vraiment compris qu'en novembre 1918 que l'Allemagne est définitivement vaincue. Elle fustige alors l’USPD et le SPD qu'elle juge responsables de la défaite. Jamais elle n'aura appelé la paix de ses vœux. Au cours de la discussion, Ch. Stange-Fayos a précisé que la loyauté patriotique du journal résulte également du désir de reconnaissance des femmes comme citoyennes à part entière. Il y a ici une contradiction interne du mouvement qui récuse par ailleurs le droit de vote des femmes et vante le respect d'une répartition des rôles traditionnelle. Thierry Wanegffelen (historien, Université de Clermont-Ferrand) est ensuite revenu sur l'approche calviniste de la question de la paix. Dans sa réflexion sur "Bonne paix et néfaste guerre civiles, odieuse paix et juste guerre religieuses. Les paradoxes de M. Jean Calvin", Th. Wanegffelen a proposé une approche de la paix civile et de la paix religieuse et des paradoxes de Calvin par le biais théologique. A cet effet, Th. Wanegffelen a recherché les références à la paix que peut contenir l'œuvre de Calvin. Sa communication a exposé dans un premier temps les résultats de son analyse de la somme dogmatique produite par Calvin, l'Institution de la religion chrétienne, dans laquelle Calvin construit la théologie de la Réforme. Th. Wanegffelen a constaté que l'Institution de la religion chrétienne comporte peu de références directes à la paix, qui n'est d'ailleurs abordée que de façon partielle (Dieu est ainsi évoqué comme celui qui dispose la paix et les guerres). Th. Wanegffelen s'est appuyé cependant sur le chapitre 20 du livre 4 ("Des moyens extérieurs ou aides, dont Dieu se sert pour nous conduire à Jésus-Christ, son fils, et nous retenir en lui") qui introduit l'idée selon laquelle il nous faut agir de sorte "que l'humanité subsiste en les humains", l'idée de l'existence de guerres justes et que les princes sont donc dans l'obligation d'organiser les armées. Th. Wangeffelen a conclu la première partie de son analyse en constatant que pour Calvin, la paix ne semble pas être un lieu théologique. Dans un deuxième temps, il a poursuivi son analyse en se tournant vers les textes de liturgie calvinienne de 1522 où il a relevé quelques rares occurrences sur la paix. Calvin s'exprime sur la "guerre spirituelle" : dans cette prière, l'Eglise est qualifiée d'Eglise "militante". La notion de l'Eglise comme troupeau est remplacée par celle d'une Eglise en campagne. Selon Thierry Wanegffelen, cette recherche de la paix telle que la présente Calvin relève quasiment de l'apostasie. Dans son commentaire de la lamentation de Cain, Calvin précise également que les hommes ne connaîtront jamais la paix s'ils ne se reposent pas sur la Providence et s'ils ne passent pas leur vie sous la conduite de Dieu. "Ne refusons pas d'acheter la paix au prix de nombreuses fâcheries" : la paix est à rechercher, fut-ce au prix de son bon droit à soi. Pour acheter la paix, il faut renoncer à son bon droit, ce qui ne signifie pas être lâche. La recherche de la paix à tout prix présente cependant des limites. Dans l'Eglise telle que décrite par Calvin, la paix intérieure est présentée comme une nécessité et la situation de paix extérieure est à rechercher à tout prix. 9 Le Christ ne requiert pas seulement d'aimer la paix, mais de la procurer. Cependant, si l'individu doit renoncer à son bon droit au profit de la paix, ceci ne saurait être le cas de l'Eglise dans sa totalité. Réfutant l'argument des anabaptistes, il précise que le combat d'une Eglise contre le monde ne saurait bien sûr pas être un indice de chrétienté : les anabaptistes estiment que l'opposition de tous à leur croyance est le signe de la véracité de leurs convictions. Or, Calvin refuse toute rébellion contre le pouvoir politique même si ce pouvoir s'avère être abusif ou tyrannique. Il prône le respect du prince et des pouvoirs qui viennent de Dieu. La Providence se chargera d'agir contre les mauvais princes, ce qui permet d'éviter une intervention du peuple. La recherche de la paix passe par la recherche de compromis. T. Wanegffelen a cependant indiqué que Calvin ne conçoit pas un compromis religieux qui ne soit pas compromission. Pour lui, il ne peut y avoir de paix œcuménique et il réfutera ainsi l'intérim d'Augsbourg. Il s'élève contre les modérés avec lesquels aucune paix, aucune entente n'est possible. Aux modérés, il oppose d'autres adversaires comme les Turcs, les Juifs, les catholiques, les papistes qui, pour lui, sont bien définis et identifiés. A cet endroit, Thierry Wannegffelen a fait référence au colloque de Poissy et à Duplessis-Mornay. Les réformés prennent des distances par rapport aux principes calvinistes. Pour Calvin, la paix doit être interne à l'Eglise véritable. Aux termes de cette communication, F. Knopper a alors soulevé la question du martyr dans le cadre de l'interdiction de désobéir au prince. Th. Wanegffelen a répondu que selon les principes de Calvin, le martyr cherche à concilier la double obéissance à Dieu et au prince. Il ne se révolte pas. Il devient un martyr à l'instant où l'une des obéissances ne fonctionne plus, à savoir l'obéissance au prince. Le martyr, c'est obéir sans blasphémer Dieu. Claire Gantet (historienne, Université de Paris I et Historisches Kolleg, Munich) a insisté dans son exposé " 'Ein Profan- und Religionsfrieden' : la perception de la paix de Westphalie (1648-1660)" sur l’enjeu dynamique d’une paix envisagée sur le long terme alors qu’elle était étudiée avant cette date soit comme une idée abstraite soit dans sa temporalité. L’étude de l’histoire des commémorations de la paix dans leur répartition temporelle et spatiale révèle la juxtaposition de plusieurs facteurs, culturels (odes, organisation de fêtes baroques par des sociétés liées entre elles), politiques (méfiance des souverains ou des magistrats et peur d’une marginalisation) et surtout confessionnels. C. Gantet a consacré la première partie de son exposé à des questions méthodologiques et a replacé son étude dans le cadre des travaux sur la relation entre mémoire et histoire initiés par Pierre Nora. L’œuvre de P. Nora présente toutefois des défauts en raison de son hétérogénéité et des problèmes qu’il a rencontrés dans la définition des lieux de mémoire, la première acception concrète de l’objet évoluant au fil du travail vers une interprétation plus métaphorique. Malgré cet élargissement salutaire, la métaphorisation de l’objet aurait finalement échappé à ses concepteurs. C. Gantet a proposé de revenir à la notion spatiale, la matérialisation permettant selon elle de repérer les enjeux. La problématique de l’espace n’a pas été développée dans le cadre de la paix de Westphalie qui sanctionne pourtant à la fois la territorialisation de l’espace du Saint Empire et le pluralisme confessionnel. C. Gantet a donc proposé dans un deuxième temps une étude spatiale et temporelle de la réception de la paix dans le camp luthérien afin d’en montrer la double dynamique de neutralisation et d’affirmation confessionnelle. La carte des fêtes de la paix – pour l’essentiel dans le sud du Saint Empire (Franconie, Wurtemberg, Souabe) après 1650 – ne coïncide pas avec l’annonce de la nouvelle et traduit donc une géographie culturelle et religieuse. C. Gantet a souligné en premier lieu l’apport des sociétés savantes et de l’irénisme littéraire étant apparu sur le modèle des Friedensspiegel après 1640. Même si le patriotisme allemand 10 est alors peut-être marqué par l’humanisme et la paix d’Erasme, les auteurs ne perdent rien de leurs convictions luthériennes dont les traités sont l’aboutissement des revendications (parité des quatre villes libres d’Empire, année normale de 1624). Au niveau politique, la peur de certaines dynasties et de certains magistrats de voir se développer des mutineries s’explique ensuite par le contexte lié à la démobilisation, mais aussi par l’idée que la paix civile puisse porter en germe une sécularisation de la vie publique, notamment dans les villes paritaires. Ceci a conduit C. Gantet à analyser les aspects confessionnels de la problématique. La paix civile amène le clergé à craindre que le voisinage des cultes dans les villes paritaires ne produise un émoussement de la piété et ne conduise à l’interdiction des fêtes de type baroque. Ces traités joueent ainsi surtout le rôle de tremplin pour le corps clérical luthérien qui s’en sert pour faire valoir son autorité auprès du public. Le discours clérical sur les traités est prudent, mais le clergé prend acte à la fois du dynamisme confessionnel dans le Saint Empire et de la formation d’une culture de paix sur le long terme. Dans les villes bi-confessionnelles, la paix donne bien lieu, au final, à une institutionnalisation de cette coexistence, manifestation de la neutralisation des incidences du religieux dans le politique et d’une autonomisation du politique dont le corps clérical a perçu le danger. Dans le cadre de la discussion, F. Knopper a interrogé C. Gantet sur l’évolution de cette notion de paix après 1789 en faisant allusion à l’image des traités dans l’œuvre de Schiller. C. Gantet a situé la première rupture dans la réception des traités aux alentours de 1730. Elle est générationnelle et correspond à l’époque de leur première publication, où se développe une approche plus générale du texte. Le tournant matérialisé par l’œuvre de Schiller correspond quant à lui à la fin de la perception des traités comme élément essentiel de la constitution du Saint Empire. La trilogie de Wallenstein, qui place le chef de guerre au premier plan, comprend ce tournant comme annonciateur du morcellement de l’Allemagne. Patrick Cabanel (historien, Université Toulouse 2) a clos la première journée du colloque par une intervention sur les "Grands courants pacifistes du protestantisme en France entre 1860 et 1945". Après avoir rendu hommage aux travaux de Rémi Fabre, qui font référence sur la question du pacifisme protestant, P. Cabanel a souligné la difficulté pour les protestants français, suspectés d’être de piètres patriotes, d’afficher des convictions pacifistes avant 1914. Il a rappelé qu’en dépit de cette suspicion, dont les protestants seront lavés dans le sang au cours du premier conflit mondial, le pacifisme appartient bel et bien à la panoplie d’un certain protestantisme français, bourgeois, au cœur de la Troisième République laïque. P. Cabanel a distingué principalement trois types de vecteurs du pacifisme au sein du monde protestant français dans les années 1860-1945. Les idées pacifistes sont d’une part portées par quelques francs-tireurs, à l’origine d’actions ponctuelles mais non moins remarquables, parmi lesquels Ferdinand Buisson, Paul Passy, ou encore Charles Lemonnier. Au-delà de ces prises de position individuelles, une action organisée prend forme à la fin du XIXe siècle avec l’association "La Paix par le droit", fondée en 1887 à l’initiative de plusieurs protestants. Cherchant à doter le pacifisme d’armes juridiques, cette organisation devient entre les deux guerres une sorte d’officine officieuse de la Société des Nations, en laquelle elle fonde de grands espoirs. Enfin, l’objection de conscience, revendiquée par des étudiants en théologie protestante désireux de porter témoignage, jusque dans leur emprisonnement, du refus opposé à la guerre par le christianisme, donne une résonance certaine à ce mouvement néanmoins minoritaire. Les années 1930 mettent ce pacifisme à l’épreuve : si le refus du nazisme s’impose à beaucoup comme une valeur suprême devant supplanter le pacifisme, sauf dans le cas des partisans d’un pacifisme intégral, la résistance à l’occupation et à Vichy prend le plus souvent, au sein du protestantisme français, la forme d’une résistance spirituelle ou civile, en 11 raison de la forte réticence chrétienne à la résistance en armes. P. Cabanel a finalement situé le véritable enjeu de son intervention dans la question suivante : s’agit-il simplement de protestants pacifistes, ou y a-t-il véritablement un pacifisme protestant ? Cette question a constitué l’objet principal de la discussion. Il a été souligné par des remarques de J.-P. Cahn, F. Knopper et A. Ruiz que ce questionnement peut également s’appliquer à la résistance : faut-il parler de protestants résistants, ou y a-t-il une résistance protestante ? Au demeurant, l’attention a été attirée sur le fait que l’on ne semble poser cette question que pour les minorités : se demande-t-on en effet s’il faut parler de catholiques / d’agnostiques résistants ou bien plutôt d’une résistance catholique / agnostique ? Cela ne conduit-il pas à nuancer la pertinence d’une telle alternative ? Il a enfin été relevé que la France, Etat laïque, a préféré aux lieux de mémoire laïcs des lieux de mémoires catholiques ou protestants, à l’exemple du Chambon-sur-Lignon, haut lieu de la résistante protestante. La première séance de la journée du 7 mars, consacrée à la première moitié du XXe siècle, a été présidée par François Genton (germaniste, Université de Grenoble 3). La communication de Rémy Cazals (historien, Université de Toulouse 2), intitulée "Représenter la guerre avec véracité pour construire la paix : Jean Norton Cru et 14-18", a proposé une analyse de l’œuvre de Jean Norton Cru, protestant et ancien combattant pendant la Première Guerre mondiale, auteur de Témoins, une œuvre monumentale parue en 1929 qui recueille des témoignages d’anciens soldats. L’objectif de Jean Norton Cru est de montrer la guerre dans toute son horreur et son atrocité, afin de mieux construire la paix. Il refuse d’esthétiser la guerre comme peuvent le faire les peintres et les romanciers, c’est pourquoi il choisit de recueillir les témoignages de ceux qui ont vécu la guerre et qui la décrivent telle qu’ils l’ont vue. L’exposé de R. Cazals s’est articulé autour de deux grands axes. Il a tout d’abord présenté Témoins de Jean Norton Cru, puis s’est proposé de répondre aux détracteurs de l’oeuvre. Dans la première partie de son exposé, R. Cazals a expliqué que Jean Norton Cru, luimême protestant et ancien combattant, se sent sans doute investi de la mission de témoigner1 . Pour remplir cette mission de témoignage, Jean Norton Cru décide de lire tous les témoignages d’anciens combattants qu’il trouve. Il les confronte, compare les auteurs, vérifie les informations contenues dans ces témoignages, il rédige une notice sur chaque auteur et fait également une critique de chaque œuvre. Enfin, Jean Norton Cru établit une classification des témoignages par ordre de valeur. Son objectif avoué est de travailler pour les futurs historiens, il leur signale les témoins solides et véritables, ainsi que les imposteurs. De plus, il souhaite que son œuvre permette de dire la vérité sur la guerre afin de mieux construire la paix et d’empêcher le retour de la guerre. Après avoir expliqué l’œuvre dans son ensemble, R. Cazals s'est penché sur l’accueil qu’a reçu cette œuvre lors de sa parution, et en particulier sur les critiques formulées à son encontre. Lors de sa première parution en 1929, l’œuvre de Jean Norton Cru est très controversée. En effet, dans Témoins, Jean Norton Cru critique les historiens officiels et n’hésite pas à attaquer des romanciers à succès comme Barbusse, à qui il reproche les "effets littéraires" et dont il s’attire ainsi les foudres. Pour Jean Norton Cru, ces romanciers ne sont pas d’authentiques témoins. 1 R. Cazals cite ici l’Evangile selon Saint Luc pour étayer ses dires : "Puisque plusieurs ont entrepris de rédiger un récit des choses qui sont reçues parmi nous avec une pleine certitude, comme nous les ont transmises ceux qui, dès le commencement, ont été les témoins oculaires et les ministres, il m’a semblé bon à moi aussi, qui ai suivi exactement toutes choses depuis le commencement, très-excellent Théophile, de te [les] écrire par ordre, afin que tu connaisses la certitude des choses dont tu as été instruit " (Luc, 1). 12 En 1993 paraît la seconde édition de Témoins, qui elle aussi provoque une controverse. Ses détracteurs reprochent à Jean Norton Cru sa minutie, son souci du détail. A ceci, R. Cazals a répondu que la minutie est au contraire une qualité, et que, grâce à Jean Norton Cru, on a non seulement des détails sur le décor de la Première Guerre mondiale, mais aussi sur les sentiments d’angoisse auxquels les soldats sont en proie. On reproche également à Jean Norton Cru de ne promouvoir que son expérience unique de la guerre. Pour R. Cazals, cette critique est, elle aussi, infondée puisque Jean Norton Cru incite ses lecteurs à lire directement les divers témoignages des soldats à l’œuvre dans les divers corps de l’armée. Pour certains, l’œuvre de Jean Norton Cru manquerait d’ouverture d’esprit puisqu’il se permet de décréter que tel ou tel témoignage n’est pas valable. Or, R. Cazals a montré que Jean Norton Cru cherche à comprendre pourquoi, parfois, un témoin a menti. De plus, dans ces cas-là, Jean Norton Cru n’hésite pas à souligner l’ambivalence des sentiments humains. D’autres détracteurs de Jean Norton Cru le "classent" dans la catégorie des pacifistes marqués par les idées d’après-guerre. R. Cazals a rappelé ici qu’il faut faire attention aux "étiquettes", et que Jean Norton Cru n’hésite pas à critiquer les pacifistes déclarés comme Henri Barbusse. Le dernier et le plus grave reproche qu’on a fait à Jean Norton Cru est celui d’avoir permis le négationnisme en invalidant la pertinence du témoignage. Pour R. Cazals, cette critique se fonde sur de fausses allégations, puisque Jean Norton Cru ne jette en aucun cas l’opprobre sur le témoignage, au contraire, il cherche le témoin digne de foi. R. Cazals a conclu sur le fait que l’œuvre de Jean Norton Cru, même si elle dérange, n’en demeure pas moins une grande œuvre scientifique, un ouvrage de référence. Cette œuvre recense les témoignages des intellectuels, puisqu’elle est publiée en 1929, c’est-à-dire des témoins qui n’ont pas craint de publier leur témoignage immédiatement après la guerre. Il faut attendre plus longtemps pour avoir accès aux témoignages de gens ordinaires et pour que, à partir de ces nouveaux témoignages, l’historien puisse continuer l’œuvre de Jean Norton Cru. J.-P. Cahn a ouvert la discussion par une question portant sur l’engagement protestant de Jean Norton Cru, à laquelle R. Cazals a répondu que Jean Norton Cru s’est engagé surtout en tant qu’être humain, et que son engagement protestant n’a sans doute joué qu’un rôle secondaire dans son œuvre. A.-M. Saint-Gille a réagi ensuite par rapport à l’objectif de Jean Norton Cru qui souhaite montrer la guerre dans toute son horreur en remarquant que esthétiser ou non la réalité pourrait revenir au même, c’est-à-dire à dénoncer malgré tout l’horreur de la guerre. Pour R. Cazals, le mérite de Jean Norton Cru est d’avoir révélé des témoins autres que les "célébrités" de la littérature sur la Première Guerre mondiale comme Henri Barbusse. L’exposé de Mechthild Coustillac (germaniste, Université Toulouse 2) avait pour but d’analyser "La controverse autour du service armé des pasteurs protestants allemands au début de la Première Guerre mondiale." Au XIXe siècle, le service militaire devient obligatoire dans l’Allemagne unifiée, mesure qui pose la question du statut militaire des prêtres. La loi militaire de 1874 exempte les ecclésiastiques du service armé en leur réservant les fonctions d’aumôniers et d’infirmiers. En 1890, cette loi est étendue aux étudiants en théologie pour une durée de sept ans en temps de paix, mais elle ne concerne que les catholiques, les protestants s’y étant montrés défavorables. La loi de 1909 confirme les dispositions de celle de 1874 en cas de mobilisation, sans évoquer le cas particulier des ecclésiastiques engagés volontaires, dont on ne sait pas s’ils seront autorisés à prendre les armes ou pas. En 1914, le vide juridique laissé par les lois d’avant-guerre donne lieu à un débat passionné opposant des ecclésiastiques 13 protestants aux ecclésiastiques catholiques, mais aussi et surtout aux autorités civiles et militaires. En effet, le souverain allemand est le chef de l’Eglise, et les pasteurs sont des fonctionnaires. Beaucoup d’entre eux souhaitent donc prendre les armes pour défendre la patrie. En tant que citoyens de l’Etat et du Royaume de Dieu, ils ont des devoirs patriotiques, éthiques et religieux. Pour un grand nombre d’entre eux, le devoir patriotique occupe le premier rang de leurs priorités. La controverse qui éclate est avant tout une question de doctrine, puisque les protestants considèrent leur fonction comme un métier, les catholiques, au contraire, comme un sacerdoce. Les protestants ne voient donc aucune raison d’être exemptés, contrairement aux catholiques. De plus, les catholiques, pour justifier leur exemption, affirment que la guerre est incompatible avec le message de paix et d’amour dispensé par l’Evangile. Pour eux, il y a un véritable antagonisme entre guerre et christianisme. Sur ce point, beaucoup de théologiens protestants s’appuient sur la théorie luthérienne de la "guerre juste", et de la guerre comme corollaire du péché inhérent aux contingences terrestres. La Première Guerre mondiale, lorsqu’elle éclate, est considérée par les théologiens protestants comme une "guerre juste". Ils se rangent ainsi à l’avis de Guillaume II qui la présente comme une guerre visant à défendre la patrie en danger. Au niveau juridique, les pasteurs souhaitant prendre les armes sont invités à formuler des demandes individuelles ou groupées qui seront examinées au cas par cas par les consistoires des différents Länder. Certains Länder comme le Wurtemberg autorisent les pasteurs à prendre les armes, alors que d’autres comme la Prusse refusent, et même, comme ce fut le cas du Hanovre, rappellent les pasteurs déjà partis au front, même si le Land de Prusse finira plus tard par revenir sur ses positions. La grande majorité des pasteurs qui souhaitent s’engager argue de raisons morales et s’appuie sur des motifs théologiques. Cependant, M Coustillac mentionne également le cas de ces pasteurs, très jeunes pour la plupart d’entre eux, qui souhaitent seulement faire "l’expérience" du front. Il existe aussi des pasteurs qui se prononcent contre l’engagement militaire des ecclésiastiques. Pour eux, la place du pasteur est au cœur de sa paroisse, son rôle est celui de tisser des liens avec les familles des soldats partis au front, et de préparer la paix et la reconstruction qui font immanquablement suite à la "guerre juste". F. Knopper a ensuite ouvert la discussion par une question portant sur la position qu’adoptent les autorités militaires dans ce débat. M. Coustillac a répondu que les autorités militaires en mal de troupes font très souvent pression sur les Länder pour qu’ils autorisent les pasteurs à prendre les armes, c’est même une des raisons qui explique le revirement du Land de Prusse évoqué lors de l’exposé. La problématique de l'attitude des pasteurs protestants face à la guerre était également présente dans la communication d'Anne-Marie Saint-Gille (germaniste, Université Lyon 2) portant sur "Weltfriede statt Seelenfriede. Fondements religieux du pacifisme de Leonhard Ragaz (1868-1945)". Romain Rolland note en 1915, non sans réserve, : "Cette guerre est entre Calvin et Luther" et précise que le pasteur Ragaz, un des plus grands esprits protestants de Suisse, partage cet avis. Le pasteur Ragaz, né dans les Grisons, est en effet une des figures tutélaires du mouvement du socialisme religieux et de l'histoire du pacifisme. Il s'intéresse notamment aux questions d'éthique sociale et au socialisme religieux et considère que renverser le capitalisme est un devoir chrétien. Souvent, il exprime sa solidarité avec des grévistes. Ses idées sont exprimées dans la revue "Voies nouvelles" (Neue Wege) pour laquelle il écrit jusqu'en 1945. 14 La guerre des Boers représente un moment de crise de conscience pour Ragaz qui ne croit pas à la possibilité d'une guerre juste. Il abandonne alors l'idée de convaincre les bourgeois et de les sensibiliser à la cause des pauvres et rejoint le mouvement ouvrier. Il estime que les socialistes s'occupent de ce que les chrétiens auraient dû entreprendre : l'échec des Eglises explique la naissance du socialisme athée. La guerre est perçue comme un châtiment. Dans Die neue Schweiz, Ragaz suggère une prise de distance par rapport au modèle germanique et se prononce en faveur d'une Suisse qui se serait fixée comme tâche de rapprocher les peuples. Ragaz quitte alors l'université de Zurich où il enseignait pour se consacrer en toute indépendance au culte de Dieu. Il continue à considérer le capitalisme et le nationalisme comme les deux menaces principales pour la paix, d'autant plus que le capitalisme combiné au nationalisme, dit-il, mène au militarisme. Le capitalisme est également celui qui, de l'avis de Ragaz, profite le plus de la guerre. En 1935, il quitte le parti socialiste suisse après que celui-ci eut voté en faveur des crédits militaires. Il définira alors la violence comme la force la plus anti-chrétienne qui soit. Son socialisme religieux se distingue du christianisme social tel qu'on le trouve en Grande Bretagne ou encore en France. En effet, la théologie du royaume de Dieu développée par Ragaz est à l'origine d'un double engagement en faveur du "socialisme religieux" et d'un pacifisme relatif, proche du pacifisme juridique. Les marques du royaume de Dieu étant les notions de justice et de paix, le rôle dévolu à l'homme est d'éradiquer les sources de violence militaire ou sociale afin de préparer l'avènement de ce royaume. Il ne s'agit pas ici pour Ragaz d'un royaume des âmes, mais d'un royaume qui doit être accompli sur Terre ("Weltfriede statt Seelenfriede"). Il s'oppose à la thèse luthérienne de justification par la foi seule. Afin d'œuvrer pour le royaume divin, Ragaz prône un double engagement contre le capitalisme et en faveur de la religion afin de remplacer le glaive par la croix. Le pasteur assigne une mission particulière à la Suisse à ce moment clé du XXe siècle qui voit la création de la Société des Nations (SDN) à Genève, capitale de la Réforme calviniste. Genève incarne alors à ses yeux l'universalisme que représente la SDN et inversement, le choix de Genève reflète pour lui le caractère pionnier de cette ville. Ragaz réclame pour la SDN la possibilité de s'opposer militairement aux Etats fauteurs de troubles. Pourtant, il maintient sa vision particulière du rôle de la Suisse: après les accords de Locarno, il va jusqu'à proposer de supprimer l'armée suisse et d'affecter ces crédits à des fins sociales. Jamais, il ne séparera le spirituel du temporel. La discussion a permis à A. Ruiz de soulever la question d'éventuelles relations entre Ragaz et des Allemands et/ou des Autrichiens, et particulièrement avec Stefan Zweig et les nombreux pacifistes exilés en Suisse. A.-M. St Gille a précisé que Ragaz était effectivement en contact avec de nombreux exilés de langue allemande présents en Suisse et qu'il a collaboré à la revue pacifiste "Die Friedenswarte". La question d’une éventuelle continuité entre Luther et le nazisme a également été soulevée. A.-M. Saint-Gille a estimé que Ragaz voit effectivement une telle continuité et qu'il se rapproche notamment de Friedrich Wilhelm Foerster de Munich qui se rattache à la théorie des deux Allemagnes qui voit les causes de la guerre dans l'Allemagne protestante et le "Sonderweg", dans une vision simplificatrice. A.-M. Saint-Gille a finalement indiqué qu'on retrouve cette conception chez de nombreux intellectuels catholiques. L'exposé de Hilda Inderwildi (germaniste, Université de Toulouse 2), s'intitulait "Naissance et constitution d'une conscience pacifiste chez Dominique Richert", à travers ses mémoires de la Première Guerre mondiale. H. Interwildi est tout d'abord revenue sur l'histoire éditoriale des mémoires. Au lendemain de la guerre, l'Alsacien Richert rédige ses cahiers en allemand, dans une Alsace redevenue française. Ils sont découverts par son fils dans les années cinquante, mais ne seront 15 publiés qu'en 1989 sous le titre Beste Gelegenheiten zum Sterben ; meine Erlebnisse im Kriege 14-18, et en français en 1994 sous un titre tout différent, Cahiers d'un survivant; Un soldat dans l'Europe en guerre 1914-1918. Ces carnets ont intéressé Heinrich Böll et ont été déposés aux Archives militaires allemandes. H. Inderwildi a poursuivi en mettant en avant des critères d'analyse littéraire. Elle a souligné par exemple l'utilisation fréquente du terme wieder, marquant la réalité inexorable de la guerre. Les représentations que fait Richert de la guerre ne sont ni sacralisantes, ni héroïsantes, ni banalisantes. Il décrit la réalité brutale du combat à partir de laquelle va se développer son pacifisme et qui l'amènera à déserter l'armée allemande. Trois traits caractéristiques de Richert sont mis en avant, à savoir son absence de conscience nationale, son antimilitarisme et son humanisme pragmatique. Ces trois aspects seront illustrés lors de la description de son itinéraire. H. Inderwildi est ensuite revenue sur des aspects biographiques. Richert appartient à une famille de paysans fixée à Saint-Ulrich dans le Sundgau. Il est né en 1893 et ne connaît pas la langue française. Mais il a avant tout le sentiment de s'inscrire dans un terroir-tampon entre les deux pays. Au moment de la déclaration de la guerre, Richert reste étranger à la liesse patriotique et y oppose la perspective des adieux à sa famille et celle de la mort. Le paysan alsacien ne veut pas mourir pour une abstraction. Comme l'a exprimé H. Inderwildi, Richert préfère l'épaisseur des réalités et du quotidien. Le périple européen de Richert a alors été mis en avant. Après avoir commencé la guerre sur le front occidental, il sera envoyé en juillet 1915 sur le front oriental. S'y dessine très tôt une forme d'antimilitarisme. Il s'insurge contre l'image de propagande répandue par les journalistes et les planqués de l'arrière. Il dénonce le cynisme et la lâcheté des officiers, l'effroyable discipline et le caractère extrêmement coercitif des règlements. Le soldat est obligé d'obéir pour sauver sa vie. Richert devient cependant dès 1915 un soldat expérimenté et sera décoré. Son sens du devoir répond à son pragmatisme et non à une adhésion aux idéologies de la guerre et du patriotisme. Il s'agit de loyauté envers les camarades. Richert développe une stratégie d'évitement. H. Inderwildi a décelé un durcissement de son ton. L'humanité de Richert se résume à cette question : comment sauver sa vie sans donner soi-même la mort? En 1918, il déserte pour sauver sa peau. Ce n'est pas un choix patriotique. Il est heureux que la France ait gagné la guerre car, si l'Allemagne avait gagné, il n'aurait pu retrouver sa famille et son village. En résumé, H. Inderwildi caractérise l'attitude de Richert ainsi : il fait preuve dès le début d'une attitude réservée face à la guerre et cette attitude se renforce lors de son expérience: il est contre le militarisme, la guerre stupide et ses atrocités, il déteste le mensonge concernant le mythe de guerre, il fait preuve d'obéissance pour ne pas mettre en danger ses camarades, sa patrie n'est ni l'Allemagne ni la France, mais son terroir. Son pacifisme est défini par un humanisme pragmatique. Son ambition pacifiste n'est pas d'ordre conceptuel. Dans la discussion qui a suivi, Rémy Cazals a rappelé les similitudes avec l’ouvrage de Jean Norton Cru. Les intervenants ont rappelé la forme de cure que revêt l'écriture des survivants. François Genton (germaniste, Université Grenoble 3) a proposé une intervention intitulée " 'C’est la faute à Luther’ ou la contribution de Thomas Mann à la thèse de la misère allemande". La notion de "misère allemande", forgée par Karl Marx et Friedrich Engels, est, selon Fr. Genton, déjà présente, entre les lignes, dans les poésies de Hölderlin et de Heine, voire dans certains écrits de Fontane. Elle est popularisée à la fin du XIXe siècle par l’écrivain social-démocrate Franz Mehring et réactualisée par Georg Lukács, durant ses années d’exil à 16 Moscou, et surtout par Bertolt Brecht, en 1950, dans le prologue de son adaptation de la comédie de Lenz Le Précepteur. Cette vision d’une Allemagne contre-révolutionnaire et brutale, et pourtant capable de fournir les penseurs et les artistes les plus profonds et les plus radicaux, est aussi celle de Thomas Mann vers 1945 : l’apport de l’auteur de Doktor Faustus aura été de dater ce dévoiement de l’Histoire allemande de la Réforme luthérienne. L’animosité de Thomas Mann envers Luther est, ainsi que l’a affirmé Fr. Genton, le fruit d’une évolution entamée dès la jeunesse de l’auteur. D’ambivalente, son appréciation du personnage et du rôle de Luther devient clairement négative lorsque, après 1933, Th. Mann rapproche la figure de Luther de celle de Hitler, double manifestation à ses yeux d’un "phénomène réellement allemand". Dans son discours L’Allemagne et les Allemands, prononcé le 29 mars 1945, Mann dénonce le rôle "funeste" joué par Luther dans l’histoire de l’Allemagne, ainsi que l’anti-pacifisme du "rustre de Wittemberg", à qui il reproche d’avoir trahi les paysans révoltés, de s’être prononcé contre l’émancipation du peuple et d’avoir prôné l’obéissance au prince. On retrouve dans le Doktor Faustus (1947), dont l’antiluthéranisme n’est néanmoins pas l’objet principal, une caricature de Luther à travers le personnage de Eberhard Kumpf. Fr. Genton a rappelé que la polémique autour du rôle ambivalent de Luther dans l’histoire allemande a une longue tradition. Si la France, à l’image d’un J. Jaurès qui voit en lui le premier socialiste, semble cultiver une vision positive du réformateur protestant, le monde anglo-saxon en revanche est plus clairement polémique, établissant, à l’instar de William McGovern en 1941, la continuité directe qui conduit De Luther à Hitler. Extrêmement fertile, cette polémique a notamment conduit à la thèse du Sonderweg allemand. La discussion a permis à A. Ruiz de souligner l’ambivalence d’un Th. Mann dénonçant les nazis, mais faisant dans le même temps sienne la thèse de ces derniers situant Hitler dans la droite continuité de l’Histoire allemande. Les interventions ont ensuite abordé la question du vote luthérien en faveur des nazis, l’opposant au vote catholique pour le parti du centre catholique (Zentrum). Il a été rappelé que le vote catholique était confessionnel avant d’être anti-nazi, ce que tend à confirmer le rapide ralliement du Zentrum aux propositions de lois nationales-socialistes. J.-P. Cahn a exprimé ses réserves quant à la pertinence du critère religieux comme élément déterminant l’analyse du comportement électoral. La séance de l'après-midi était présidée par Anne-Marie Saint-Gille (germaniste, Université Lyon 2). L'exposé d'Ekkehard Klausa (sociologue, Gedenkstätte Deutscher Widerstand Berlin) s'intitulait "La paix comme motif dans les cercles résistants protestants allemands". E. Klausa a proposé une approche empirique et non dogmatique du concept de pacifisme. Il a défini cinq attitudes auxquelles il attribue un dénominateur commun, la lutte contre la guerre de Hitler : 1) le pacifisme radical : opposition catégorique à la guerre par refus de la violence. 2) le pacifisme contre la "guerre injuste", dans le sens augustino-thomiste, luthérien. 3) le pacifisme éthique : contre la guerre de Hitler suite au traumatisme de la Première Guerre mondiale. 4) le pacifisme rationnel : contre la guerre de Hitler en tant que calcul rationnel. 5) le pacifisme opposé à une guerre qui bafoue le droit international et s'accompagne de crimes contre l'humanité. 17 Ces catégories incluent tant des pacifistes radicaux de la République de Weimar, Carl von Ossietzky par exemple, que des nationalistes défenseurs de la remilitarisation allemande, opposés plus tard à Hitler. E. Klausa s'est efforcé de déterminer quelle fut la contribution du protestantisme allemand à l'idée de paix. Il a rappelé que l'Eglise protestante n'a pas de tradition pacifiste. Il est revenu sur les principes de Luther concernant la Notkrieg, guerre nécessaire considérée comme devoir du prince auquel il revient de juger du caractère juste d'une guerre. A travers des rappels historiques, E. Klausa a montré la persistance de cette légitimation pour en arriver au Gott mit uns ("Dieu avec nous") de la Première Guerre mondiale. Si un vaste mouvement Nie wieder Krieg ("plus jamais de guerre") anime la période d'entre-deux-guerres, il résulte plus du traumatisme de la guerre que de la théologie protestante. En 1939, l'église protestante considère à nouveau la guerre comme une Notkrieg pour une révision du traité de Versailles. L'enthousiasme du pasteur Niemöller, avant son engagement comme pacifiste radical, relèvet-il du patriotisme ordinaire? E. Klausa a constaté que la Bekennende Kirche, l'Eglise Confessante, ne s'est pas opposée à la politique militaire de Hitler, mais uniquement à l'ingérence dans les affaires de l'église. A l'inverse, il a souligné le rôle du mouvement catholique pour la Paix après la Première Guerre mondiale, à travers le Friedensbund der deutschen Katholiken ("Union pour la paix des catholiques allemands"), et le Weltfriedensbund vom Weißen Kreuz ("Union internationale de la Croix Blanche pour la paix"), insistant sur le fait qu'ils ne représentent qu'une minorité. Il a cité le parcours de personnalités qui participent à ces mouvements, dont Matthias Erzberger, Bernhard Lichtenberg et Max Joseph Metzger. E. Klausa s'est alors interrogé sur la participation des protestants au mouvement de paix. Il a mentionné la Arbeitsgemeinschaft der Konfessionen für den Frieden ("communauté des confessions oeuvrant pour la paix"), comptant des catholiques, des Juifs et des protestants, dont le pasteur Karl Julius, fondateur du Evangelischer Friedensbund ("Union protestante pour la paix"). Du fait de la dominance du protestantisme national, les pacifistes ou résistants protestants sont peu nombreux. E. Klausa a cité le parcours de deux objecteurs : Hermann Stöhr, du Internationaler Versöhungsbund ("Union internationale pour la réconciliation"), qui fut exécuté, et du pasteur Dietrich Bonhoeffer dont le pacifisme (degrés 2 et 3) est peut-être le plus spécifiquement protestant. La conscience d’empreinte chrétienne ainsi que le devoir moral conduisent de très nombreux protestants à sauver des Juifs (degrés 2 et 3) et poussent à l'action de nombreux résistants impliqués dans l'attentat du 20 juillet 1944 (degrés 3 et 4). E. Klausa a mentionné d'autres opposants au régime national-socialiste : Ernst von Weizsäcker, Ulrich von Hassel, Carl Goerdeler (degrés 3, 4 ou 5). Regard critique et humanisme suffisaient, selon E. Klausa, pour s'opposer à la guerre de Hitler sans posséder nécessairement une éthique protestante particulière. A l'inverse, il a cité le Kreisauer Kreis ("cercle de Kreisau"), qui compte des membres des deux confessions et pour lequel l’attitude chrétienne est essentielle pour fonder l'action de résistance. E. Klausa a rappelé la position d'officiers qui ne rejoignent que plus tard la résistance (degré 4). Même si certains historiens suggèrent que même sans Hitler, une autre guerre aurait éclaté pour une révision de la paix de Versailles, E. Klausa a avancé que, suite au traumatisme de la Première guerre mondiale, cette élite adhère à la politique de l'appeasement. Lors de la crise des Sudètes en 1938, cette même politique fait peut-être rater l’occasion d'un attentat contre Hitler préparé par une coalition unique d’officiers défendant la paix. A la fin de sa communication, il s'est interrogé sur la pertinence de son classement en introduisant des arguments de Wolfram Wette. Il a toutefois rappelé l'importance de disposer d'un dénominateur commun à l'ensemble des acteurs engagés contre la guerre de Hitler. Le 18 terme de Kriegsgegnerschaft ("opposition à la guerre"), lui semblait peut-être plus approprié que celui de pacifisme, tout en soulignant les nouvelles difficultés d'interprétation qui en résultent. Au cours de la discussion, J.-P. Cahn a fait référence au général Beck, opposé à la guerre pour des raisons d’ordre moral et éthique et par conviction chrétienne, mais aussi et surtout en se fondant sur des données stratégiques, la conviction que la guerre, telle qu’elle était conduite, ne pouvait mener qu’à la catastrophe. L'idée de la Schuldverstrickung, l'idée d'un peuple allemand enferré dans la culpabilité qui sera puni par Dieu a également été mentionnée ainsi que l’idée de l’élimination du tyran prévue par la théologie. Bernd Hey (historien, Université de Bielefeld et Directeur des Archives de l'Eglise protestante de Westphalie) est ensuite revenu de façon plus précise sur la question du rôle des pasteurs allemands au cours de la guerre dans son exposé intitulé "Schuldlos schuldig? Krieg als Aufgabe Gottes – Als Pfarrer im Frankreich – und Rußlandfeldzug 1940-1945." Il s'est appuyé sur des lettres échangées par le pasteur allemand Gerhard Spellmeyer et sa femme Martha au cours de la guerre, lettres qui présentent l'intérêt supplémentaire d'avoir été annotées et commentées au cours des années 1980 par Spellmeyer lui-même. Cette correspondance inédite nous permet d'observer, malgré l'omission de certains sujets par peur de la censure, le changement profond que produira la guerre dans l'attitude et les opinions d'un "simple" pasteur protestant. Fils d'un missionnaire, Spellmeyer est né en Afrique allemande occidentale. Envoyé à l'école en Allemagne à l'âge de 14 ans, il choisit ensuite d'étudier la théologie et se trouve pris entre les feux de la dispute interne qui déchire alors l'Eglise protestante. Il se range du côté de l'Eglise confessante (Bekennende Kirche). Spellmeyer rejoint l'armée le 3 septembre 1939 et ne reviendra de la guerre qu'en 1949 après quatre années de captivité en Russie. Au début de la guerre, il voit celle-ci comme un devoir, une mission sacrée attribuée par Dieu et s'efforce donc d'effectuer au mieux les tâches militaires qui lui sont confiées. La guerre est un jugement et une punition de Dieu, il serait donc mal de s'y soustraire. Certes, des innocents meurent, mais le fils de Dieu luimême n'a-t-il pas dû mourir pour que les hommes prennent conscience de leurs péchés? S'il n'a jusqu'alors jamais reçu d'entraînement militaire, Spellmeyer espère néanmoins rejoindre les champs de bataille au plus vite et refuse un travail de bureau qu'on lui propose. Il rejoint les rangs d'un régiment d'artillerie envoyé en France. L'expérience des champs de bataille en France tout d'abord et en Russie par la suite (de 1941 à la capitulation) l'amènent à réfléchir sur ses positions. Il évoque sa peur que les hommes ne soient pas capables de tirer des leçons de cette punition infligée par Dieu. Martha, qui le remplace auprès de ses ouailles pendant ces années, est bien plus critique envers la guerre, depuis le début des hostilités. Malgré ses doutes, Spellmeyer persiste à rester auprès de son régiment. On retrouve dans ses lettres le motif classique du refus de trahir les camarades. Il refuse l'office de pasteur de guerre mais exerce parfois ses activités pastorales sur le terrain, en renvoyant à la prêtrise générale de tous les croyants. S'il est proche de ses camarades, il se sent néanmoins différent en raison de son christianisme, de plus en plus difficile à préserver au fur et à mesure que la guerre avance. Il n'a que rarement l'occasion de s'échanger avec un autre soldat qui se déclare chrétien lui aussi. La foi de ses camarades protestants lui apparaît souvent fade, il a des échanges plus intéressants avec ses camarades catholiques. Alors que la guerre avance et que les innocents touchés sont de plus en plus les Allemands eux-mêmes, la question de la culpabilité se pose à lui de façon plus pressante. Spellmeyer finit par accepter sa propre culpabilité dans la guerre ainsi que sa défaillance en tant que chrétien. Une culpabilité qu'il ne peut rejeter sur la volonté de Dieu, mais dont Dieu peut le délivrer. Cette question devient d'autant plus importante lorsqu'il apprend par un 19 médecin l'existence de camps d'extermination. Il prie alors pour une fin rapide de la guerre et une défaite allemande. Il se met aussi à réfléchir aux conséquences d'une défaite pour sa famille. Doit-il conseiller à sa femme de fuir vers l'Ouest? Ou, en tant que femme de pasteur, doit-elle au contraire rester sur place? C'est Martha elle-même qui prend finalement la décision de fuir en automne 1944. Spellmeyer, quant à lui, reste fidèle à son poste de soldat et refuse de rejoindre la résistance par peur de nuire à sa troupe. En réponse à une question de J.-P. Cahn concernant l'attentat manqué du 20 juillet 1944, Bernd Hey a précisé que la peur d'une trahison depuis l'intérieur du pays ("Dolchstoßlegende") était encore très présente et a indiqué que la plupart des Allemands considéraient comme leur devoir de rester patriotiques et fidèles à Hitler. Se pose alors, comme l'a précisé A.-M. Saint-Gille, la question du droit de tyrannicide qui, ainsi que l'a indiqué E. Klausa, était toléré par la tradition catholique mais était moins présent chez les protestants. B. Hey a également dit que, contrairement aux Français, les Allemands n'ont pas appris à mener de lutte contre l'autorité car se pose toujours la question de savoir s'il s'agit d'une souffrance nécessaire et juste. L’intervention de Sylvie Le Grand-Ticchi (germaniste, Université Paris X) était consacrée à "L’engagement pour la paix : une constante de l’action et de la réflexion des Eglises protestantes de RDA". Bien que galvaudée par la propagande du régime est-allemand, la question de la paix garde un pouvoir de résonance intact au sein des Eglises protestantes. Elle renvoie en effet tant au contexte international de Guerre froide et de réarmement qu’au contexte intérieur de militarisation et de démarcation vis-à-vis de l’Ouest. Au-delà, la notion de paix comporte avant tout une dimension existentielle conférant un poids particulier à la réflexion théologique ou à l’engagement social pour la paix au sein des Eglises. Il faut par ailleurs noter l’intérêt stratégique que représente pour les Eglises protestantes la référence au thème de la paix, qui lui permet de trouver un terrain d’entente minimal avec l’Etat, et de faire ainsi tolérer certaines de ses revendications. Les années 1980, et en particulier 1978-1983, initient le "mouvement pour la paix" et voient se multiplier les projets en faveur de celle-ci (mise en place d’un enseignement pour la paix, des décades pour la paix, organisation de manifestations publiques ponctuelles, déclarations officielles de l’Eglise…). Il est frappant de constater, a souligné S. Le GrandTicchi, le caractère global du concept de paix, envisagé comme processus, comme réalisation progressive et croissante des potentialités humaines. Ce processus distingue un premier moment d’ordre cognitif, faisant appel au discernement face aux manifestations de non-paix au sein de la société est-allemande, et un deuxième moment qui est celui de l’action, individualisant, engageant à se transformer soi-même pour, peu à peu, transformer la société. L’approche globalisante de la notion de paix implique toute la création : d’où un souci écologique et un encouragement à s’engager pour un environnement sain ainsi que pour un rapport plus juste entre pays riches et pays pauvres ; d’où par ailleurs l’ancrage œcuménique (au sens protestant et non interconfessionnel) des Eglises protestantes qui multiplient les contacts avec le protestantisme à l’échelle mondiale. Face à cette réflexion qui semble cohérente, S. Le Grand-Ticchi s’est néanmoins interrogée sur la dilution du concept de paix entraînée par cette acception extensive et généralisante, ainsi que sur la survalorisation théologique semblant caractériser le discours sur la paix. S. Le Grand-Ticchi attribue à cette survalorisation théologique une fonction compensatoire : il se serait agi pour les Eglises de compenser tant l’enclavement de la RDA (par l’universalisme) que les mutilations politiques et sociales (par l’idée de totalité). S. Le Grand-Ticchi a par ailleurs insisté sur le fait que la valorisation du thème de la paix est inversement proportionnelle, dans le discours des Eglises, à l’occultation du thème de l’unité et de la nation : le sentiment d’une "dette" envers la paix semble ainsi rendre 20 taboue la revendication nationale et généralisé la résignation face à la scission de l’Allemagne. Dans le même temps, l’idée d’une responsabilité commune pour la paix constitue néanmoins pour la communauté protestante un puissant facteur de cohésion, manifeste notamment à travers la signature, par les communautés protestantes de l’Est et de l’Ouest, d’une déclaration commune en 1985. S. Le Grand-Ticchi y décèle, au-delà des divergences d’opinion apparues au fil des années, un ersatz de conscience nationale. La discussion amorcée par J.-L. Breteau à propos de la notion de "justice" a permis d’insister sur la précocité de l’engagement tiers-mondiste des Eglises protestantes de RDA. Cette réflexion sur la mondialisation s’explique notamment, aux yeux de S. Le Grand-Ticchi, par le fait que les Eglises ont intériorisé le discours du régime mettant avant tout en avant les droits sociaux dans leur définition des droits de l’homme. La question du degré de protestantisme du (des) mouvement(s) pacifiste(s), autrement dit de l’éventuelle instrumentalisation de l’Eglise par les groupes pacifistes, a également été soulevée par E. Klausa. Si une telle instrumentalisation, de même qu’un décalage entre les paroisses, l’ensemble des Eglises, et les groupes pacifistes ont effectivement pu exister, il existe néanmoins une indéniable communauté d’opinion entre Eglises protestantes et groupes pacifistes. Le colloque s’est terminé avec l’intervention d’Eleni Braat (doctorante en histoire, EHESS / Institut universitaire européen de Florence), consacrée au "Pacifisme religieux face au désarmement aux Pays-Bas, 1921-1933". A travers l’étude des positions défendues par deux mouvements pacifistes religieux, l’un protestant, Kerk en Vrede ("Eglise et Paix"), l’autre catholique, Rooms-Katholieke Vredesbond ("Alliance pacifiste catholique"), E. Braat s’est interrogée sur l’importance de la question du désarmement dans les débats du pacifisme religieux néerlandais des années 1920. Cherchant à encourager l’Eglise à s’engager plus ouvertement contre la guerre, l’organisation protestante Kerk en Vrede, créée en 1924, oppose à la guerre une condamnation de principe, arguant avant tout de raisons morales interdisant au chrétien de participer à la guerre. E. Braat a souligné qu’une certaine intolérance caractérise l’attitude de l’organisation, dont les positions très arrêtées en matière de pacifisme la conduisent à refuser toute conception du pacifisme divergeant de la sienne. En matière de lutte contre le militarisme, les positions défendues par la revue Kerk en Vrede attribuent au désarmement un rôle secondaire : l’objection de conscience, qui individualise la question du refus de la guerre, est en effet considérée comme le moyen le plus efficace pour lutter contre le conflit armé. Kerk en Vrede défend l’idée d’un désarmement total et unilatéral, ayant valeur d’exemple face aux autres nations, et cela quelle que soit l’attitude de ces dernières en matière de désarmement. Les positions défendues par l’organisation catholique Rooms-Katholieke Vredesbond, diffusées à partir de 1929 par sa revue au titre évocateur de Pro Pace, diffèrent sensiblement de celles de son homologue protestant. L’affirmation exclusive de son identité catholique la sépare notamment de Kerk en Vrede, dont l’ancrage se veut œcuménique. L’alliance catholique, qui ne s’est jamais prononcée en faveur de l’objection de conscience, voit dans la défense nationale une nécessité morale, et accepte par ailleurs l’idée de guerre juste. E. Braat a rappelé que la question de la défense nationale reste, pour l’Alliance très liée au parti catholique au pouvoir, un sujet pour le moins extrêmement délicat. Peu en prise sur l’actualité, l’Alliance catholique reste avant tout une organisation intellectuelle, aux positions idéalistes. La discussion, entamée par J.-P. Cahn se demandant s’il ne fallait pas constater un certain phénomène de "récupération" de l’idée du pacifisme par la Hollande qui n’en aurait néanmoins pas réellement assumé les conséquences, est revenue sur le manque manifeste de 21 réalisme de la société hollandaise des années 1920 quant aux enjeux du pacifisme. Ce déficit a été attribué par E. Braat notamment au manque d’information et au faible intérêt – dont témoigne par ailleurs le contenu des deux revues étudiées – manifesté à l’égard de l’étranger et des questions internationales. Thomas Nicklas a ensuite suggéré que le pacifisme s’était peut-être, en Hollande, développé comme élément constitutif du nationalisme, voire en lieu et place d’un nationalisme. Ce colloque dans le cadre de la problématique "REPRÉSENTATION DES CONFLITS ET CONSTRUCTION DE LA PAIX" a permis de s'intéresser aux notions de "paix confessionnelle" et de "paix civile" et d'en montrer l'évolution depuis la paix d'Augsbourg jusqu’à l'après – Guerre Froide. L'instauration de la paix est un processus dynamique qui influence profondément l'évolution de la politique et de la diplomatie, mais également des mentalités et des sociétés. L'intérêt porté au protestantisme et à son rapport au politique témoigne de l'importance de cette question dans le contexte spécifique allemand, au-delà des continuités et ruptures historiques. Aux XVIe et XVIIIe siècles, la religion sert encore de légitimation à la guerre et la paix, dans la tradition de Luther, et ce n'est qu'au XVIIIe siècle que la guerre se laïcise par le biais du patriotisme. Les mouvements pour la paix se mettent progressivement en place au XIXe siècle, avec des liens religieux plus ou moins affirmés. Les deux guerres mondiales provoquent une recrudescence d'interrogations sur le bien fondé d'un pacifisme politique ou religieux et la légitimité de ses moyens d'action. Le lien entre paix confessionnelle et paix civile est cependant de moins en moins institutionnalisé et politisé, il s'individualise sans pour autant perdre de son sens et de son potentiel d'action. La confrontation de points de vue d'historiens et de germanistes ainsi que d'époques diverses a permis d'engager des réflexions transversales porteuses qui devraient être prolongées lors de la prochaine journée d'étude du 13 mai à l'Université Paris IV-Sorbonne. Compte-rendu rédigé par: Lise Barrière (UFR d’allemand, Toulouse 2 et CERAM) Béatrice Bonniot (Université Paris 12 / Universität Ausgburg, UMR IRICE) Régine Ha-Minh-Tu (CERAM EA 1940 Toulouse 2) Ruth Lambertz (UFR d’Etudes germaniques, Paris 4) David Weber (Département d’allemand, Nice-Sophia Antipolis et CERAM EA 1940 Toulouse 2)
Colloque Hilda Inderwildi
Pages
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- Dominique Richert (1893-1977) lebte in Saint-Ulrich, ein kleines Dorf ganz im Süden vom Elsaß.
- La Presse La bataille de Rixheim
- Réédition des Cahiers d’un survivant
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- Incorporés de force Ulrich Richert auteur du « Retour dans le sundgau »
- Presse Empreinte militaire en Lorraine (12-2013) Michaël Seramour
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- Exposition Menschen im Krieg – Vivre en temps de guerre des deux côtés du Rhin – 1914-1918
- Mitte Mai 1987 macht .. im Freiburger Bundesarchiv/ Militärarchiv
- Exposition MENSCHEN IM KRIEG 1914-1918 AM OBERRHEIN
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