14-18 une mémoire a partager sur scène
La comédienne Anne Hengy sera l'une des intervenantes professionnelles de la soirée, au cours de la quelle on entendra une vingtaine de textes d'auteurs. Photo DNA/ Nathalie Thomas
Lycéens, comédiens, associations, Français et Allemands seront ensemble, samedi à la Halle au blé, pour faire vivre en chansons, textes et documents, la mémoire de la guerre.
Pour les adolescents d'aujourd'hui, la Grande Guerre se résume parfois à quelques chapitres de cours d'histoire. Il y a cent ans, à l'heure de l'Armistice de 1918, des jeunes quasiment de leur âge étaient morts sous des orages d'acier ou sont restés mutilés à vie. Pourquoi ? Une soirée organisée samedi par la Ville d'Altkirch propose de partager cette mémoire et de l'inscrire dans le temps contemporain.
En cette année du centenaire de l'Armistice de 1918, la Ville d'Altkirch s'est souvenue, le 11 novembre à la nécropole nationale.
Mais elle a souhaité explorer d'autres « chemins de mémoire » et proposer une soirée commémorative grand public qui réunira des élèves du lycée Henner, des comédiens professionnels et amateurs ainsi que des choristes, pour un spectacle multiforme d'environ deux heures, mêlant projections vidéo, lectures et chant.
• La parole à ceux qui ont vécu 14-18
Une veillée « qui s'intéresse à l'intellect et qui n'est pas une pleurnicherie sur la souffrance » , résume son metteur en scène, François Dangel, qui précise:« Il est indécent de faire de la guerre un objet compassionnel ! Durant cette soirée, on ne découvrira rien de la guerre mais on saisira jusqu'où peut nous mener la mystique guerrière du « Heldentod », du « Vaterland », c'est-à-dire le nationalisme et les figures héroïques. De grands auteurs ont vécu la guerre comme une régression de la civilisation, ils l'ont écrit. Être patriote, c'est « savoir faire un effort sur soi », a déclaré de Gaulle, c'est faire taire ses envies, ses désirs, à la différence du nationalisme. »
Ce propos engagé et revendiqué comme tel a déjà été développé lors d'une soirée mémorielle, fin septembre à Wittersdorf, dans le cadre de l'exposition de l'association Culture et solidarité. Si la soirée altkirchoise de samedi reprend une partie de cette trame, elle braque le projecteur entièrement sur les « mots des soldats », des écrivains et poètes français, allemands et même suisses, qui ont vécu la guerre, nommés Maurice Genevoix ( entré au Panthéon cette année, auteur de Ceux de 14 ), Erich Maria Remarque ( À l'Ouest, rien de nouveau ), Blaise Cendrars ( La main coupée ). Ernst Jünger ( Orages d'acier ). Louis-Ferdinand Céline ( Voyage au bout de la nuit ). Jean Giono ( Le grand troupeau ). Guillaume Apollinaire. Nathan Katz ( Das Galgenstüblein . Ein Kampf um die Lebensfreude . Die Stunde des Wunders ).
• « Par la nécessité du témoignage »
Mais on découvrira aussi ces « soldats devenus écrivains par la nécessité du témoignage ». Évidemment, Dominique Richert, paysan-soldat de Saint-Ulrich. dont les mémoires de guerre ont été édités d'abord en allemand ( Beste Gelegenheit zum sterben ), puis en français (Cahiers d'un survivant) et en anglais, figure en bonne place.
Ce fantassin sundgauvien de la Grande Guerre, qui n'était pas un professionnel de l'écriture mais dont les écrits ont été salués par Heinrich Böll, prix Nobel de littérature, a fait l'objet d'un essai d'analyse et de critique des souvenirs de combattants par Rémy Cazals, chercheur de l'université de Toulouse-Mirail. Ce dernier parle d'un « document exceptionnel »
« C'est le J'accuse alsacien, un réquisitoire de 400 pages qui dit la guerre comme elle doit être dite, sans enluminures littéraires » . commente François Dangel.
Cette soirée commémorative où l'on entendra du français et de l'allemand se veut aussi un plaidoyer pour la paix, la tolérance et l'Europe « malgré ses difficultés ». Il était alors évident d'y associer des lycéens de part et d'autre du Rhin. Plusieurs professeurs du lycée Henner, Caroline Bernard, Audrey Guilloteau et Fabrice Robardey, ont accepté de relever le défi avec leurs élèves de 1re. Une lettre signée du maire d'Altkirch a été envoyée au proviseur du Markgrafen-Gymnasium de Karlsruhe jumelé avec le lycée Henner, pour l'inviter avec des enseignants et élèves volontaires. à venir partager ce samedi « un moment de fraternité et d'amitié entre nos deux peuples ».
Les lycéens sundgauviens ont choisi de lire des poèmes de Guillaume Apollinaire ( Poème à Lou ) et de l'écrivain Eugène Dabit ( J'ai été soldat à dix-huit ans ), un témoignage de Jean Giono ainsi que des passages d'un journal de bord et de lettres envoyées du front par des soldats français et allemands à leurs familles. signées Gaston, Gervais, Fritz ou Erich.
Une vraie exigence guide la réalisation de cette veillée. « Les textes, pour les partager, il faut les apprivoiser. C'est du travail de pro. On ne traite pas les grands auteurs à la légère. Il faut réussir à les faire écouter avec beaucoup de déférence et de recueillement » , souligne François Dangel. Les élèves ont bénéficié des conseils d'André Leroy, metteur en scène professionnel, pour travailler leurs textes (lire ci-contre). Sur scène, les lycéens seront accompagnés de comédiens professionnels, Anne Hengy, Lionel Lingelser – via des enregistrements pour ce dernier- mais aussi d'amateurs aguerris, habitués à ce genre d'exercice, telle Geneviève Kientz. Des documents, images, sons et vidéos illustreront le propos, un montage préparé par Philippe Juen, tandis que David Anstett s'occupera des lumières. « Deux hommes ont exhorté les peuples à la raison à la veille de la guerre, une personnalité politique française, Jean Jaurès, et un écrivain allemand, Stefan Zweig. On entendra les documents d'époque » , indique le metteur en scène.
• Prières et hommages
Essentiel aussi dans cette veillée, le Choeur d'hommes Liederkranz d'Attenschwiller, sous la direction de Raymond et Ludovic Sutter, interprétera une quinzaine de chants, dont La chanson de Craonne ,ich hatt einen Kamerad , La Madelon , entre autres, des chants contestataires, populaires, liturgiques, poèmes, prières en hommage aux morts ou qui traduisent l'état d'esprit et les sentiments des soldats.
On entendra La Marseillaise , hymne auquel se joindront les lycéens présents. Parmi les choristes de Liederkranz figure Gérard Burgun, conseiller municipal d'Altkirch, en charge du Devoir de mémoire, l'une des chevilles ouvrières de la soirée, soutenue par le maire Nicolas Jander et l'adjointe Estelle Miranda, ainsi que par Marie-Christine Bosswingel, proviseure du lycée Henner.
« Nous travaillons à cette soirée depuis fin juin et elle nous tient à coeur. Il ne s'agit pas de faire mémoire pour faire mémoire mais de voir quelle est l'actualité de cette mémoire, l'héritage de ce vécu centenaire. Il ya quelque chose qui reste universellement vrai aujourd'hui. il faut continuer à construire la paix et à la stabiliser. Il s'agit de susciter la réflexion et la discussion », souligne Estelle Miranda.
Noelle BLIND-GANDER
Y ALLER Samedi 24 novembre à 20 h, à la Halle au blé à Altkirch. Entrée libre. plateau.
Un comité de collecte à suivre
Le 21/11/2018 05:00 ,
L’idée originelle de la soirée était de lire des lettres issues d’archives familiales des Altkirchois, mais le temps a manqué.
Ce travail pourra se faire ultérieurement. Un comité de collecte va être créé à cet effet.
Afin de mettre au jour « l’histoire familiale de la Grande Guerre, une histoire plus subversive derrière la grande histoire ».
Une soixantaine de lycéens assisteront samedi soir à la veillée mémorielle à la Halle au blé. Treize d’entre eux seront lecteurs de textes et donc les premiers acteurs de cette transmission de mémoire.
La veillée s’adresse à tous et les organisateurs espèrent un public nombreux mais la transmission de la mémoire se fait de génération en génération. La présence des lycéens des classes de 1re – dont la Grande Guerre figure au programme de l’année scolaire – permettra notamment d’atteindre cet objectif.
Treize lycéens se sont portés volontaires pour lire des textes. Lundi, durant près de deux heures, ils ont bénéficié des conseils d’un professionnel, André Leroy, fondateur de la compagnie mulhousienne des Tréteaux de Haute Alsace. Car ce n’est pas forcément facile de lire de manière expressive des textes « étrangers ». Encore moins des lettres de soldats (sur)vivant dans les tranchées, qui touchent aux sentiments et émotions les plus profonds. Encore moins lorsqu’il ne s’agit pas de sa langue maternelle…
« Je vous donne mon avis, ce n’est pas un avis définitif, ni de jugement, à vous de prendre ce que vous voulez » , les a rassurés André Leroy. Au fil des lectures, il a conduit les adolescents à s’approprier vraiment leurs textes. « Mettez – vous vous-mêmes dans les textes, c’est votre spectacle ! »
« Y croire »
Certains conseils sont revenus régulièrement, qui peuvent sembler évidents mais que la plupart d’entre nous n’appliquons pas de manière naturelle : « Dis le texte plus doucement, lis-le en croyant ce que tu dis, n’avale pas les fins de phrase, pousse les abdominaux, lève les yeux du texte après chaque phrase ! » Parfois, André Leroy a demandé d’abandonner carrément la lecture pour que l’élève lui raconte, simplement, les principaux éléments de son texte.
Le professionnel a montré que lire un texte relève d’un « choix artistique personnel » : « Vous pouvez dire le texte de telle manière que l’auditeur découvre les événements au fur et à mesure de la narration. Vous pouvez l’incarner, ou alors le dire de manière impersonnelle, mais toujours de manière audible, c’est à vous de voir ! »
Les lycéens n’ont pas vu le temps s’écouler, absorbés dans un dense travail qu’ils auront encore peaufiné avec leurs enseignants durant toute la semaine. Une seule et unique répétition générale aura lieu vendredi matin à la Halle au blé.